Le quadrillage temporel

Encadrées par les proclamations les annonçant et les concluant, les fêtes officielles se déployèrent dans la ville sous tous les régimes et rythmèrent le temps urbain comme elles le faisaient déjà durant les siècles précédents 511 . Elles prenaient deux formes – répétitive (14 juillet) ou exceptionnelle (décès du souverain) – coexistant quel que fût le régime en place 512 .

Les événements nationaux extraordinaires, qui ne se fêtaient qu’une fois (sur initiative locale ou non), donnèrent lieu aux célébrations les plus nombreuses (28 en tout 513 ) – signifiant l’intérêt du pouvoir à immédiatement recycler les faits à son profit. Par exemple, sous le 1er Empire, la ville fêta l’anniversaire du couronnement et la victoire d’Austerlitz le 6 décembre 1805 ; le 30 juillet 1807, la paix de Tilsit fut solennellement proclamée sur les principales places de la ville. On notera que les événements locaux se limitèrent aux obsèques des figures du pouvoir local (7) ; par conséquent, la fête stricto sensu était affaire nationale. Les voyages officiels furent largement privilégiés (27), le pouvoir souhaitant tisser ou renforcer le lien l’unissant au peuple – notamment durant les premières années d’un nouveau règne. Au travers des nombreux voyages de Louis Napoléon Bonaparte, se dévoile alors cet irrépressible besoin de sentir la population lier son destin au sien – le séjour étant alors le pendant festif du plébiscite. En 1850, alors que les cérémonies républicaines officielles avaient déjà cessé d’être passionnantes et innovantes, le président se présenta comme l’homme de la République et, à ce titre, espérait retirer les bénéfices des manifestations organisées en son honneur 514 . Mais ces occasions festives revêtaient un caractère aléatoire qui ne convenait pas à la théorie du quadrillage – il en manquait l’armature. Chaque régime devait se doter d’au moins une fête fédérative revenant chaque année à la même date (on en dénombre 17). Généralement, elle correspondait à la fête du souverain – Saint Louis ou Saint Charles. Sous le Second Empire, la fête nationale du régime fut fixée au 15 août par décret du 14 août 1852 – fête « doublement réactionnaire » selon Maurice Agulhon car dédiée à Marie et à Napoléon 515 . Parallèlement à celle du souverain, une célébration du régime a pu exister : 14 juillet sous le Consulat, fête de la révolution de Juillet sous Louis-Philippe… Ces commémorations disparurent ou furent délaissées : pour un pouvoir fort, il devenait dangereux de célébrer une insurrection. Il n’en reste pas moins vrai qu’instaurer l’habitude de la fête était une obligation pour qui souhaitait réussir son pari éducatif. La fête nationale, revenant à date fixe coloniser les mêmes lieux, formait la structure essentielle des cérémonies officielles – les voyages et événements divers en étant les rameaux.

Ces premières constatations n’ont d’intérêt que si elles sont mises en rapport avec les différents gouvernements. Si l’on excepte les deux républiques que nous suivons sur une trop courte période – non sans avoir toutefois remarqué que pas moins de cinq fêtes furent mises sur pied en 1848-1849 – l’importance des empires et des monarchies s’impose. La Restauration fut de loin le régime qui accorda le plus de place aux fêtes de toutes sortes (30), les Bourbons déléguant leur famille, glorifiant tous les faits et gestes de la monarchie et organisant quelques six fêtes nationales. Retenons qu’en l’absence d’élections démocratiques, les pouvoirs forts se devaient de montrer en public la richesse de leur dynastie et légitimer sans cesse leurs actions. Il ne s’agissait alors pas seulement de donner au peuple les jeux du cirque pour l’occuper mais de l’attacher au régime dans une ambiance festive. La fête était avant tout politique et incarnait, en ce sens, un modèle d’ordre (nous n’avons jamais relevé le moindre incident). Nous sommes alors très loin des « fêtes sauvages » et des festivités nocturnes de la Révolution 516 .

Si l’on opère à présent une ventilation des fêtes par année 517 , plusieurs constantes sont à noter. Les fêtes nationales étaient généralement fixées dès la première ou les premières années du régime ; les voyages officiels s’annonçaient toujours dès le nouveau gouvernement proclamé et s’échelonnaient par la suite parfois sur tout un règne (Monarchie de Juillet, Second Empire). A répartir de façon plus fine l’ensemble des célébrations par mois (exceptées les obsèques 518 ), on se rend compte du temps long de la fête. La plupart des cérémonies (94%) s’organisaient d’avril à novembre, autour d’un noyau dur couvrant les mois de mai à septembre (71%). Répartition compréhensible après tout. Si un pouvoir attachait tant d’importance à sa propre mise en scène, mieux valait bénéficier d’un temps clément. Quel enthousiasme aurait pu naître d’une fête où le froid l’aurait disputé à la pluie ? Un beau ciel d’été n’était-il pas le plus propice aux prouesses pyrotechniques si l’on souhaitait éviter les pétards mouillés ? Les rythmes de la fête changeaient donc peu d’un régime à l’autre, chacun privilégiant la belle saison. Le temps de la fête elle-même était fortement codifié et n’évolua pas au fil du siècle. En 1800 comme en 1880, les réjouissances étaient encadrées par le son des cloches des églises de la ville et par des salves d’artillerie. Ainsi, un double signal sonore, connu de tous, faisait débuter et s’achever les loisirs officiels. Ceux-ci duraient rarement plus d’un jour, hormis, bien sûr, les visites du souverain. Le déroulement de la journée était réglementé et, si la fête durait depuis le matin jusqu’au soir (au matin la mise en scène de l’officiel, à l’après-midi les divertissements populaires, au soir l’apothéose pyrotechnique), elle devait nécessairement prendre fin avant minuit – du moins pour les autorités...

Notes
511.

Il était alors question de « foules conviées » et de « fêtes octroyées ». Cf. Arlette FARGE, La vie…, op. cit., pp. 201 sq.

512.

Cf. annexe n°8.

513.

Cf. annexe n°8, tableau n°3.

514.

AML, I 1 164 bis, Séjour du président de la République à Lyon pendant les journées des 15 et 16 août 1850, Lyon, Imprimerie J. Nigon, 1850, 62 p ; Récit historique et circonstancié de tout ce qui s’est passé à Lyon pendant le séjour du prince Louis Napoléon Bonaparte président de la République, les 15, 16 et 17 août 1850, Lyon, Imprimerie Chanoine, 1850, 59 p.

515.

Maurice AGULHON, « Fête spontanée et fêtes organisées à Paris en 1848 », Jean EHRARD et Paul VIALLANEIX [dir.], Les fêtes de la Révolution, Colloque de Clermont-Ferrand (juin 1974), Paris, Société des études robespierristes, 1977, p. 260.

516.

Michel VOVELLE, Les métamorphoses de la fête en Provence de 1750 à 1820, Paris, Aubier/Flammarion, 1976, 300 p.

517.

Nous ne prenons évidemment pas en considération l’événement qui, par définition, ne répond à aucune logique temporelle.

518.

Cf. annexe n°8, tableau n°6.