Centre et périphéries

Les hétérotopies valorisaient les lieux « vrais » à savoir les centres-villes nouvellement aménagés. En effet, la nouvelle conception spatiale du quadrillage offrit au centre lisse et entièrement normalisé une périphérie attardée et délaissée. La carte des innovations techniques est celle du centre ville, celle de la décision et du paraître. Examinons l’emplacement des 30 premiers kiosques inaugurés en 1868 552 . On les retrouvait sur les ponts, places, quais et artères de la Presqu’île ; rive gauche, ils ne s’élevaient pas place Saint Louis mais cours Morand et de Brosses ; à Vaise, ils ne se retrouvaient pas au-delà du pont Mouton, et sur les pentes, ils ne dépassaient pas la place Sathonay et la rue Terme. Les 20 autres kiosques distribués l’année suivante redoublèrent davantage les anciens qu’ils n’étendirent la surface d’implantation 553 . Nous ne serons pas surpris de constater que l’éclairage concernait d’abord le centre et les plus beaux immeubles des périphéries pour une utilisation réservée au pouvoir et aux classes supérieures. Il est à ce titre intéressant de constater que, même après son rattachement, La Guillotière traita toujours à part sa gestion de l’éclairage public. Quant à la reconquête réfléchie du centre, elle s’accompagna d’une absence remarquée de politique municipale en matière d’urbanisation sur la rive gauche du Rhône 554 . Au-delà de stratégies économiques, la partition centre/périphérie paraissait clairement affirmée : les différences entre les deux espaces étaient parfois minimes mais toujours réelles.

Les faubourgs – auxquels s’adjoint le quartier Perrache – devaient être surveillés comme le centre – puisque ‘«’ ‘ […] ce n’est pas […] dans l’enceinte de la ville que se commettent tous les délits qui intéressent ses habitants, mais plutôt dans les lieux circonvoisins ’» 555 – mais ils étaient aussi instrumentalisés. A ce propos, le XIXe siècle vit l’application d’une idée née sous l’Ancien Régime, à savoir l’extension aux faubourgs des pouvoirs de police de la ville. Le faubourg de La Guillotière fut surveillé afin qu’il ne devînt pas une zone de non droit. Mais face au danger de contamination à l’ensemble de la Presqu’île, l’essentiel du contrôle se portait sur des espaces intermédiaires, des zones tampons, tel le quartier de l’Hôtel Dieu, pendant, de l’autre côté du Rhône, du faubourg. ‘«’ ‘ Le voisinage de La Guillotière rend très difficile la surveillance à exercer sur l’arrondissement de l’Hôtel Dieu dans lequel se trouvent un grand nombre de logeurs et les lieux fréquentés d’ordinaire par des gens sans aveu, les voleurs et repris de justice’ 556  ». On comprend que les ordonnances des faubourgs avaient avant tout pour souci la protection de Lyon. Ainsi, celle réglementant les débits de La Guillotière précisait que des dispositions avaient été prises ‘«’ ‘ Vu l’étendue de la commune de La Guillotière, son rapprochement de la ville de Lyon, le nombre et la disposition des lieux publics qu’elle renferme’ 557  ». N’était-ce pas l’ouverture des débits de boissons des faubourgs qui causait tant de malheur dans le centre de Lyon ? Les rixes et autres tapages nocturnes étaient provoqués par des Lyonnais revenant de ces lieux de perdition – en ville tout étant fermé plus tôt. En 1820, on faisait remarquer que, depuis que le commissaire de La Croix Rousse surveillait les débits, ce genre d’incidents n’avait plus cours sur le plateau 558 . Bel exemple montrant que l’hétérotopie n’était pas l’anarchie et qu’un minimum de contrôle devait y faire force de loi.

Notes
552.

AML, 943 WP 244 [2 Mi 06, section 53, volume 2], Extrait des délibérations du Conseil Municipal, séance du 18/12/1868.

553.

Id., Séance du 16/04/1869.

554.

Vincent FEROLDI, « Le quartier… », art. cit. C’est presque par accident que l’urbanisation fut précipitée : les inondations de 1856 rendirent obligatoires les constructions en maçonnerie, la mise à niveau et le pavage des rues au-dessous du niveau du Rhône et accélérèrent la mise en place d’égout.

555.

ADR, 4 M 1, Lettre du maire de Lyon au préfet du Rhône, 09/05/1815.

556.

ADR, 4 M 2, Lettre du maire de Lyon au préfet du Rhône, 04/04/1843.

557.

ADR, 4 M 455, Ordonnance de police municipale de La Guillotière, 06/02/1815.

558.

Id., Lettre [du lieutenant de police] au préfet du Rhône, 12/07/1820.