3 - Synthèse : le cas exemplaire de la prostitution

La prostitution était un cas à part, au même titre que le débit de boissons. En effet, tous deux renvoyaient à un aspect particulier du quadrillage : la constitution d’espaces autres à l’intérieur de la ville. Il y avait certes des bordels et des cafés dans les faubourgs, mais une partie de la population laborieuse se concentrant toujours dans le centre ville, la nécessité d’y laisser prospérer des lieux de détente se faisait sentir. Ils remplissaient depuis de nombreux siècles le rôle de soupape en proposant au peuple des défouloirs quotidiens, mâtinés de sexe et d’effluves d’alcool. ‘«’ ‘ […] il serait peut-être trop rigoureux de les priver de cet agrément’ 598  » pensait le maire de La Croix Rousse à propos du cabaret. C’était la conséquence inévitable de la reconnaissance de l’animalité populaire ; au travail, dans la rue ou en pleine nuit, les normes devaient brider le peuple. Mais pour éviter une explosion il fallait, jugeait-on, protéger la société en acceptant des poches de transgression. La seule contrepartie exigée par le pouvoir consistait à normaliser ces lieux hors normes à coups de règlements intérieurs et de surveillance active. Nous nous proposons de suivre l’exemple de la prostitution qui, plus encore que celui du débit de boissons, représentait ce que le pouvoir aurait aimé ne plus voir dans les murs de la ville mais qu’il était contraint de laisser subsister. Du reste, pour la contrôler, le pouvoir lyonnais la rendit officielle 599 . En outre, la question de la surveillance de la prostitution nous permet de réaliser la synthèse de la théorie du quadrillage puisqu’il s’agissait d’inclure les filles dans la cité via la maison de passe tout en les cloîtrant et les refoulant.

Notes
598.

ADR, 4 M 455, Lettre du maire de La Croix Rousse au préfet du Rhône, 06/03/1850.

599.

ADR, 4 M 508, Lettre du maire de Caluire et Cuire au préfet du Rhône, 13/02/1810. Pour un panorama national du phénomène prostitutionnel, voir Alain CORBIN, Les filles…, op. cit., 1ère partie ; sur la surveillance policière de la prostitution, voir Jean-Marc BERLIERE, La police des mœurs sous la Troisième République, Paris, Seuil, 1992, 265 p.