Réglementer les maisons

On comprend que le pouvoir préféra le bordel collectif au logement individuel, ne fût-ce que pour une question de facilité de surveillance. Au début de la Monarchie de Juillet, le contrôle du pouvoir était encore lâche faute de règlements solides. La maison close devant être un instrument aux mains des autorités pour contrôler les atteintes aux mœurs, il fallut réprimer les cabinets noirs – sortes de cafés doublés de maisons de passe. Echappant à la surveillance du fait de la tolérance administrative, ils représentaient une catégorie de bordels développés en dehors des normes du pouvoir. L’éventail du public y était trop large : des adolescentes y côtoyaient des femmes mariées et des domestiques voleuses. Aucune précaution hygiénique n’y était prise : les vénériennes avaient leur droit d’entrée, la visite sanitaire n’était pas une obligation… La réponse des autorités fut claire : soit la fermeture de ces cabinets, soit l’obligation d’une surveillance semblable à celle mise en place pour les maisons 619 . Dès lors que ces établissements perdirent leur spécificité, il fut impossible d’ouvrir une maison sans autorisation administrative.

Normée, la maison close portait bien son nom. Elle était hétérotopie, retranchant une pratique déviante, l’enfermant au cœur de la cité, l’incluant tout en l’excluant aussitôt, combinant en elle-même les divers aspects du quadrillage. Il convenait d’éviter toute contamination de la société par la prostitution en cloisonnant au maximum le lieu réservé à la sexualité vénale. Cachées, les filles ne tentaient pas le premier venu. ‘«’ ‘ La tolérance des femmes publiques est malheureusement nécessaire dans une grande ville mais j’ai toujours eu pour principe de ne pas permettre qu’elles résidassent chez les cabaretiers et les logeurs, ou [sic] elles offrent leurs services aux hommes qui ne les cherchent pas et corrompent les conscrits qu’on y met en logement’ 620  ». Cet état d’esprit ne fut entériné légalement que soixante ans plus tard lorsqu’en 1874 le préfet prit un arrêté supprimant le service des filles dans certains cafés et brasseries de la ville 621 . Inversement, les maisons n’étaient pas autorisées à servir de l’alcool (ni du reste à recevoir des clients ivres). La sexualité vénale devait se cantonner le plus possible aux seuls bordels.

La maison idéale n’accueillait pas de mineures et ne gênait pas son voisinage par des bruits ou des scandales de quelque nature que ce fut. Chaque demande d’ouverture devait s’accompagner d’une description des lieux et du consentement du propriétaire. A partir de 1835, les règlements de la prostitution intégrèrent un article obligeant les maisons à se replier dans leur intérieur, à disparaître du regard : les fenêtres devaient se garnir de rideaux, jalousies ou persiennes 622 . Complément sécuritaire indispensable, leurs escaliers étaient constamment éclairés. Pour éviter tout scandale, les règlements prévoyaient que les tenanciers seraient tenus responsables des désordres pouvant survenir aux abords de leur maison. A la fin du Second Empire, seules les femmes furent habilitées à tenir un tel établissement ; plus tard, le nombre de filles fut fixé à cinq par maison 623 .

Notes
619.

Sur les cabinets noirs, cf. ADR, 4 M 159, Lettre du commissaire spécial au maire de Lyon, sd [début des années 1830].

620.

ADR, 4 M 508, Lettre du maire de Lyon au préfet du Rhône, 05/05/1813.

621.

ADR, 4 M 461, Arrêté préfectoral, 25/04/1874.

622.

ADR, 5 M 19, Ordonnance de police municipale, 24/06/1835.

623.

AML, 1140 WP 84 bis, Projet de règlement concernant les maisons de prostitution rédigé par le commissaire spécial de la ville de Lyon, 03/01/1881.