Les intermédiaires du pouvoir 642

Relais de l’Etat et du pouvoir local, les intermédiaires se consacraient uniquement aux questions de police, déchargeant ainsi le préfet et le maire d’un dossier très lourd. Selon les époques, ils concentraient plus ou moins de pouvoir et avaient une plus ou moins grande autonomie vis-à-vis de l’autorité municipale et surtout de l’autorité préfectorale. Les chefs de cabinet ayant souvent plus de poids que les ministres eux-mêmes, il ne faut pas minimiser l’importance de ces fonctionnaires qui ont su faire avancer, par leur travail, par leur entêtement, le système policier lyonnais.

La période impériale fut marquée par la figure du commissaire général, sorte de « Fouché local » institué par le décret impérial du 23 fructidor an XIII. Nous sommes à une époque où le pouvoir s’incarnait encore (ou déjà, c’est selon) sous les traits d’un homme unique car « […] pour avoir l’unité d’action dans une machine, il faut un 1° ressort qui donne une impulsion uniforme au mouvement particulier de chacun des rouages de cette machine ; sans cette impulsion, point d’ensemble et sans ensemble, point de résultat 643  ». Comme il était inconcevable qu’une seule personne pût régenter seule tout un pays, le chef d’Etat déléguait et, finalement, le pouvoir, à la hiérarchie toute mécanique, fonctionnait sur le système des poupées russes. Par exemple, le décret impérial sur l’organisation de la police du 1er mars 1811 définit quatre classes de fonctionnaires dépendant du ministère de la Police : les directeurs généraux (pour les territoires annexés), les commissaires généraux (pour les départements de l’intérieur), les commissaires spéciaux, et les commissaires particuliers des villes (commissaires de police). L’existence des intermédiaires est le signe d’une autorité préfectorale qui se cherchait encore, qui hésitait à explorer les limites de ses pouvoirs et qui restait entravée par des hommes qui auraient très bien pu n’être que des doublons. Le préfet n’était finalement pas le seul maître dans son département et le commissaire général, s’il était placé sous ses ordres, n’en gardait pas moins une marge de manœuvre appréciable. Il pouvait s’adresser directement au ministre en cas de mésentente avec le préfet ; et s’il lui était recommandé de toujours travailler de concert avec ce dernier, il lui était permis d’exécuter ‘«’ ‘ […] immédiatement les ordres du Ministre, sans qu’il soit besoin de recourir à l’autorité du préfet, à qui il n’est pas tenu de communiquer sa correspondance’ 644  ». En définitive, le supérieur véritable du commissaire général était le ministre de la Police. Son rôle était central en ce qui concernait le maintien de l’ordre ; pour s’en persuader, il suffit de reconstruire son réseau professionnel. Outre le ministre de la Police générale, il était en relation avec le conseiller d’Etat chargé de son arrondissement, le préfet de son département, les maires et adjoints de sa résidence et de son arrondissement, l’autorité judiciaire, l’administration des douanes, l’administration de la marine et de la guerre, les commissaires de police de son arrondissement (qui étaient sous ses ordres 645 ), la garde nationale, la gendarmerie, les compagnies de réserve départementale et la force armée. Autour de lui s’opéraient la centralisation et l’atomisation de l’ensemble de l’information policière. Il recevait et redistribuait tout ce qui relevait de la police politique, de la surveillance de l’opinion publique, de celle des logeurs en garni, de la police judiciaire, etc. 646 Il était en quelque sorte le représentant d’une police totale, devant être capable de proposer de nouvelles ordonnances autant que de savoir parfaitement son droit et de différencier contraventions, crimes et délits.

Sous la Restauration, une lieutenance de police renoua, de 1815 à 1822, avec les titres d’Ancien Régime. Homme du gouvernement, le lieutenant de police reprit les attributions de son prédécesseur. Il avait donc les principales prérogatives en matière de police et sous sa juridiction la ville de Lyon et ses faubourgs. En 1820, il aurait même pu récupérer, sur la demande du préfet de l’Isère, la surveillance des communes de Villeurbanne et Vénissieux 647 . Les documents ne sont pas très explicites, mais il semblerait que le projet ait capoté. Quoi qu’il en soit, ces deux derniers éléments montrent un pouvoir soucieux d’améliorer le maillage de la surveillance. Car finalement, à quoi sert de resserrer le quadrillage lyonnais s’il est relâché dans les faubourgs et les communes alentour ?

Après sa suppression par l’ordonnance royale du 16 janvier 1822, ses pouvoirs furent redistribués : le maire retrouva une grande partie de ses attributions du début de siècle (arrêté préfectoral du 24 janvier 1822), excepté pour ce qui relevait de la police de sûreté passant entièrement entre les mains du préfet. Mais dès 1823, un bureau de sûreté, dirigé par un des commissaires de la ville, fut institué 648 . Un an après la fin de l’expérience de la lieutenance de police, les autorités comprirent qu’elles ne pouvaient se passer d’un homme susceptible de centraliser les actions policières.

Sous la Monarchie de juillet, il y eut un commissaire central de police municipale et un commissaire de police de sûreté ; les candidats à ces postes étaient prioritairement recrutés parmi les commissaires de police en activité ou non. Le commissaire central avait Lyon et ses faubourgs sous son autorité. Atomisation des fonctions et multiplication des intermédiaires étaient plus que jamais la règle dominante. Un premier intermédiaire se trouvait placé entre les mains du maire, un second entre celles du préfet. Le commissariat central de police municipale créé par l’ordonnance du 11 septembre 1830 fut supprimé en 1839 et remplacé par un commissariat spécial de police attaché à la préfecture 649  ; seul subsistait un commissaire chef de division des bureaux de police à la mairie. Par cette décision, la prééminence du pouvoir central s’affermit. La République de 1848 ressuscita la fonction de commissaire central unique, mais ses attributions, mal définies, l’apparentaient à un employé de bureau. Il devait en effet faire parvenir à son supérieur une note de synthèse quotidienne concernant tous les faits propres à intéresser l’administration ; du moins, comme tous ses prédécesseurs, avait-il les faubourgs sous sa direction. Son supérieur était le directeur spécial de la police politique ayant sous sa responsabilité les départements du Rhône, de l’Ain, de la Loire, de la Saône-et-Loire, ainsi que les arrondissements de Vienne et de la Tour du Pin (Isère) 650 .

Notes
642.

Voir la liste des responsables de la police du département du Rhône, annexe n°11.

643.

ADR, 4 M 2, Rapport sur la police de Lyon, sa [préfecture ?], sd [1824].

644.

ADR, 4 M 1, « Attributions et devoirs des commissaires généraux de police », Circulaire du ministre de la Police générale, 17/08/1809. Les indications suivantes sont également tirées de ce document.

645.

Article 17 du décret du 23 fructidor an XIII.

646.

Voir ses attributions et leurs évolutions, annexe n°13.

647.

ADR, 4 M 1, Lettre du lieutenant de police au préfet du Rhône, 04/09/1820.

648.

Id., Décisions du ministre de l’Intérieur, 12/03 et 30/10/1823.

649.

AML, 1160 WP 7, Ordonnance royale du 14/10/1839.

650.

AML, 1160 WP 7, Arrêté du Directeur spécial de la police politique, 15/09/1848.