Commissaires et agents de police 651

Les commissaires de police avaient connu plusieurs organisations successives et incomplètes durant la Révolution (1791, an IV, an VII), avant celle définitive de l’an VIII (loi organique du régime local). On peut estimer que cette date correspond à la première tentative d’ordonner sérieusement le contrôle policier. Les commissaires étaient élus sous la Révolution puis nommés par l’autorité municipale, avant que la Constitution de l’an VIII ne laisse au 1er Consul toute latitude dans le choix de ces magistrats. Et durant tout le siècle, ils continuèrent à être nommés par le chef du gouvernement sur présentation du ministre de la Police générale/de l’Intérieur ; mais c’était, on s’en doute, le préfet qui établissait les listes de candidats et affichait ses préférences.

Les commissaires connurent une triple tutelle. Sous les ordres de la préfecture, ils devaient s’occuper de ce qui relevait de la sûreté. Ils étaient également sous les ordres du maire de Lyon qui les dirigeait en matière de police municipale. Enfin, ils étaient les officiers de police judiciaire du procureur. Leurs compétences en matière judiciaire s’accrurent considérablement sous le Consulat et l’Empire (par exemple la loi du 27 ventôse an VII les chargea de remplir les fonctions du ministère public auprès du tribunal de simple police) et le Code d’instruction criminelle les définit comme magistrats auxiliaires de police judiciaire. A l’origine, tant de responsabilités pour les seuls commissaires n’était pas jugé comme un obstacle mais bien comme un moyen efficace de resserrer le contrôle ; les polices politique, judiciaire et municipale ‘«’ ‘ […] ont entr’elles une si intime liaison, se prêtent tant d’appuis et reçoivent l’une et l’autre [sic] tant de secours que, pour être exercées avec succès, il faut qu’elles soient réunies en première ligne dans les mêmes mains […]’ ‘ 652 ’ ‘ ’». Ils formaient, au moins jusqu’à l’apparition des sergents de ville sous le Second Empire, la base de l’institution policière et étaient considérés comme le bras armé de leur ministre de tutelle. Fouché ne les appelait-il pas ‘«’ ‘ agens [sic] nécessaires des municipalités pour tout ce qui est objet de police’ 653  » ? N’étudier que leurs seuls devoirs en matière de police de sûreté suffirait à pointer toute l’importance que put revêtir leur fonction aux yeux du pouvoir. Ils devaient bien entendu intervenir sur le terrain et agir promptement en cas de soulèvement populaire ou même de simple attroupement ; mais afin d’empêcher ces mouvements de foule, ils devaient pouvoir déjouer les mauvaises intentions des coquins. Leur travail consistait alors à être au plus près des habitants de leur quartier, à connaître l’opinion et le caractère de la plupart d’entre eux.

Leur rôle dans le système policier évolua assez peu en cinq décennies. Seuls leurs effectifs et la distribution spatiale des commissariats évoluèrent en fonction des adaptations du quadrillage et des évolutions démographiques de la population lyonnaise. Les commissariats furent appelés arrondissements de police puis quartiers à partir de 1852 654 . Depuis l’an VIII jusqu’en 1826, il y eut neuf commissaires à Lyon – mise à part une seule et brève exception lorsque, en 1814, ils quittèrent la ville face à l’avancée des troupes autrichiennes et furent remplacés par 24 autres commissaires. En 1824, un dixième homme fut nommé mais fut en réalité rattaché à la préfecture et n’avait par conséquent aucun quartier sous son autorité (l’effectif des agents passa alors de 12 à 18). Ce ne fut qu’en 1826 que leur nombre passa à douze – dix étant affectés à un quartier, les deux autres aidant les administrations financières dans leurs opérations. En 1830, il y avait à Lyon quatre fois moins de commissaires qu’à Paris et presque autant qu’à Marseille dont la population totale était pourtant plus faible. Il est difficile de suivre précisément l’évolution numérique faute de sources. Les changements des débuts de la Monarchie de Juillet furent complexes et il n’est pas nécessaire de tous les exposer ici. Par l’ordonnance du 28 décembre 1831 le nombre des commissaires fut porté à quatorze. Les agents étaient désormais plus nombreux mais il n’y en avait toujours qu’un seul par quartier – les autres étant affectés au commissariat central ou gardés comme « réservistes ». L’arrêté municipal du 30 septembre 1833 supprima l’arrondissement des Chartreux et le rattacha à celui du Jardin des Plantes. Les deux agents des Chartreux restèrent en service, ce qui fit que le nouvel arrondissement doubla ses effectifs. Les années 1830 furent marquées par une recrudescence du nombre d’agents passant rapidement à 32 puis 48 (notons que six agents supplémentaires étaient affectés à la division de police de l’hôtel de ville). En revanche, les commissaires se virent réduits à dix aux alentours de 1835, avant d’être à nouveau douze par ordonnance royale du 14 octobre 1839. Notons, enfin, que les trois faubourgs possédaient également leur commissariat. Seule La Guillotière connut une évolution : un second commissariat fut créé en 1825, un troisième en 1847.

Nous avons réalisé trois cartes permettant de visualiser les commissariats en 1815, 1830 et 1864 655 . Un souci de rationalité est visible au niveau de leurs découpages : ils étaient tributaires des frontières naturelles – ils n’enjambaient pas les ponts mais se les partageaient – comme des formes urbaines – on a pu ainsi relever que la partition est/ouest au cœur de la Presqu’île se réalisa toujours depuis le pont du Change jusqu’au Collège car cet axe était le seul à relier de manière quasi rectiligne la Saône et le Rhône 656 . De la même manière, les espaces dégagés marquaient des séparations nettes entre les quartiers : ce fut le cas de la place Bellecour ou de celle des Terreaux. Les limites des commissariats se chevauchaient et la rue qui servait de frontière était partagée entre les deux commissaires, ce qui permettait de doubler la surveillance – point d’autant plus important que certaines limites étaient données par les grands axes (le cours de Brosses à La Guillotière par exemple). Les limites des commissariats traduisent la conception spatiale des autorités : le centre ville était bien gardé et le fut de mieux en mieux : la Presqu’île comptait six commissariats en 1815, sept en 1830 et huit en 1864. Les « hétérotopies » étaient, en comparaison, quelque peu délaissées (bien qu’en 1864 fut créé le quartier Saint Pothin) 657 . A ce titre, Perrache fut souvent associé à Bellecour (1815, 1830), formant un vaste quartier peu surveillé au-delà de l’actuelle place Carnot… Il est certain que les résultats de l’activité policière du fait de cette distribution des forces de l’ordre ne pouvaient que s’en ressentir ; il n’y avait pas forcément plus de délinquants dans les quartiers de la Presqu’île qu’à La Guillotière mais plus de policiers, donc davantage de délits constatés. Il convient toutefois de nuancer une vision trop caricaturale. Certes, les aires périphériques de la surveillance policière étaient beaucoup plus vastes que celles du centre mais, plus que toutes autres, elles recevaient l’appui de la gendarmerie et des gardes-champêtres. Rive gauche, les commissaires ne se préoccupaient que des portions du territoire les plus urbanisées, et laissaient hors de leur champ d’action les zones rurales et semi-rurales – et ce encore dans les années 1860. Certains quartiers de grande superficie étaient en réalité peu denses (Chartreux, Croix Rousse côté Serin, Vaise, Saint Just/Ancienne Ville, Perrache) et de surveillance « aisée ». Enfin, nombre de petits quartiers étaient plus difficiles à gérer du fait de la multiplicité de rues et passages aux tracés enchevêtrés – ce que prouvent les découpages fluctuants du centre ville, entre Bellecour et les Terreaux ; dans un espace aussi restreint, les rues choisies pour délimiter les commissariats étaient avant tout des axes de circulation et non de réelles limites 658 . On nous pardonnera de prendre ici un exemple datant du Second Empire pour illustrer ces disparités, mais il n’y a pas en la matière de véritables différences entre le début et la fin du siècle. En 1863, les grands quartiers de la rive gauche avaient tous un nombre de rues, places, quais, etc., supérieur à 65 pour un tracé la plupart du temps rectiligne. D’autres, plus petits et anciens, offraient un lacis enchevêtré : 57 voies pour la Métropole, 45 pour Louis-le-Grand, les Célestins, Perrache, 65 pour le Jardin des Plantes et encore 36 et 32 pour les Cordeliers et l’Hôtel de Ville (pourtant cinq fois plus petit que les Brotteaux).

Carte n° 2 : Découpage des commissariats de police en 1815
Carte n° 2 : Découpage des commissariats de police en 1815 (d’après AML, I1 1, rapport anonyme)
Carte n° 3 : Découpage des commissariats de police en 1830
Carte n° 3 : Découpage des commissariats de police en 1830 (d’après AML, I1 1, Arrêté de police municipale du 18/12/1830)
Carte n° 4 : Découpage des commissariats de police en 1864
Carte n° 4 : Découpage des commissariats de police en 1864 (d’après ADR, 4 M 3, Etats dressés par les commissaires de police en 1863-1864)
Notes
651.

Voir les listes des commissaires et des quartiers de police (annexes n° 14 et 15) ainsi que les cartes des découpages successifs des commissariats.

652.

ADR, 4 M 2, Rapport [du préfet ?] au ministre de l’Intérieur, 03/03/1828.

653.

ADR, 4 M 2, « Nature des fonctions des commissaires de police », Copie de 1832 de la circulaire du 7 ventôse an IX, adressée par le ministre de la Police générale aux préfets des départements.

654.

La ville administrative fut alors découpée en arrondissements ; il fallait donc éviter les confusions – d’où le recours au terme de quartier. Toutefois, pour ne pas compliquer la lecture, nous emploierons désormais arrondissement de police comme synonyme de quartier de police et de commissariat.

655.

Les limites des commissariats comprenant les parties rurales de la ville sont données à titre indicatif – les sources ne les précisant pas (se contentant d’inventorier les zones urbanisées qui étaient plus précisément sous la surveillance des commissaires).

656.

Martine DELASSISE, Dominique DESSERTINE, « Approche historique de la notion de quartier à Lyon », Bulletin du Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise, n° 1, 1979, p. 60.

657.

Une telle logique prévalait également à Paris, confortant un peu plus le caractère national du quadrillage. Cf. Simone DELATTRE, Les douze…, op. cit., p. 289. L’auteur du reste emploie le terme de quadrillage à propos du contrôle policier qui, sous le Second Empire, mit les nuits et les jours sur un même plan de surveillance rationnelle (pp. 305 sq).

658.

Martine DELASSISE, Dominique DESSERTINE, « Approche historique… », art. cit., p. 65.