Les forces complémentaires du maintien de l’ordre

Le système policier occupait encore bien d’autres hommes possédant tous leurs spécificités. Moins importants pour nous dans l’optique de notre travail que les commissaires et surveillants de nuit, nous ne pouvons pour autant les passer sous silence. Les voici donc rapidement présentés ci-dessous.

Tout d’abord, un mot sur un type d’agents à part, les agents secrets – dont les autorités firent grand cas. Davantage que les commissaires de quartiers, ils avaient en charge la police politique, et devaient démasquer les conspirateurs et déjouer les complots – ce dont les agents ostensibles pouvaient difficilement s’occuper, étant trop connus des malfaiteurs. Ils permettaient à la surveillance de fonctionner dans sa partie la plus délicate à savoir la gestion des « hétérotopies ». Proches du milieu délinquant, eux seuls étaient à même de pouvoir repérer et ne pas perdre de vue les repris de justice. Nous les mentionnons pour mémoire uniquement car ce n’étaient pas eux qui, au quotidien, appliquaient le quadrillage et se frottaient à la population lyonnaise. Insistons simplement sur le fait que ce fut bien la police politique qui compta le plus aux yeux des autorités et, finalement, les autres branches de la police furent utilisées dans un but politique, au niveau de la recherche des malfaiteurs comme à celui de la prévention. C’est à peine caricaturer la pensée de l’époque d’affirmer que la sédition pouvait naître aussi de l’inapplication des ordonnances de police municipale relatives à l’hygiène et à la salubrité. Ce primat du politique apparaissait d’autant plus fort lorsque le pays connaissait un changement de régime. Ainsi, en 1848, les buts de la police lyonnaise étaient : connaissance des faits politiques, religieux et militaires, sociétés secrètes et clubs, opinion de la presse et opinion publique 676 .

Parmi les agents de l’ordre, on oublie trop souvent la place des gardes champêtres dans l’environnement urbain. Les faubourgs présentèrent pendant de longues décennies un aspect rural – certes de plus en plus réduit –, d’où la présence de ces gardes par exemple à La Guillotière. La ville de Lyon en employait elle aussi, dont un à Perrache. Si l’histoire du garde champêtre en milieu rural a déjà été largement amorcée 677 , il reste à écrire celle qui le replacerait dans ce no man’s land que furent ces territoires plus tout à fait ruraux ni encore tout à fait urbanisés.

Citons encore les auxiliaires précieux que furent les divers inspecteurs et employés de police municipale qui avaient des attributions précises. A titre d’exemple, lorsque le nombre de commissaires passa à dix, il y avait alors trois inspecteurs de nettoiements, deux inspecteurs des ports, deux voyers ou aides voyers : nouvelle preuve de la spécialisation du personnel devant permettre un quadrillage des plus efficaces.

Passons rapidement sur la garde nationale forte de près de 10 000 hommes dans le premier tiers du siècle mais qui sombra en 1831 après son soutien aux insurgés. Sa disparition fut définitive en 1871 à la suite d’une éphémère renaissance. Elle était utilisée comme force d’appoint des garnisons et de la gendarmerie pour lutter contre le désordre notamment révolutionnaire. La mentionner nous amène naturellement à évoquer le meilleur agent du maintien de l’ordre à Lyon : l’autorité militaire. Elle se divisait en deux corps principaux, la gendarmerie et les garnisons.

La gendarmerie lyonnaise née en 1792 n’a jamais, au XIXe siècle, su s’imposer comme une force de première importance dans la ville, ne serait-ce que du fait de ses effectifs réduits 678 . La gendarmerie était organisée selon la même logique que les forces de l’ordre civiles, à savoir le quadrillage de la ville par des patrouilles nocturnes à pied ou à cheval soumises à des itinéraires variés. Ce premier quadrillage était renforcé par un second couvrant la périphérie lyonnaise et qui devint, par la suite, le principal champ d’action d’une gendarmerie fréquemment chassée du centre par une police civile bénéficiant d’effectifs de plus en plus conséquents.

L’armée assurait l’ordre à Lyon, ou plus exactement elle était seule susceptible de fondre sur la ville en cas de besoin (4 000 puis 12 000 hommes). N’oublions pas qu’en 1831, après que la révolte des Canuts éclata, ce furent 30 000 hommes que le maréchal Soult et le duc d’Orléans conduisirent dans la ville rebelle. Lyon, place militaire, était ceinturée de forts depuis la Monarchie de Juillet : signe d’une force armée tournée vers l’ennemi de l’intérieur. La rive gauche du Rhône était entièrement surveillée par un système de neufs forts reliés par un canal depuis Perrache jusqu’à la Tête d’Or ; quatre forts avaient été construits autour de La Croix-Rousse : à Saint Clair, Serin, Cuire et Montessuy. Pour compléter le tout, la ville était surveillée aussi du côté de La Duchère, Sainte Foy, Saint Irénée et Loyasse 679 . Une partie des troupes de la garnison défilait toutes les semaines sur la place Bellecour, façon de rappeler aux ouvriers tentés par un soulèvement qu’ils auraient bien peu de chances face à des milliers de soldats. Mais l’importance de l’armée ne datait pas des années 1830. Sous le 1er Empire déjà, le commissaire général avait à sa disposition « pour l’exercice de la police » la garde nationale, la gendarmerie ainsi que les compagnies de réserve départementales et il pouvait même requérir la force armée en activité 680 . Il est certain que ce n’était pas sur une dizaine de commissaires de quartier épaulés par une poignée d’agents que les autorités comptaient pour sauver la ville en cas de graves problèmes 681 .

Les responsables de la police locale pouvaient effectivement, dans cette première moitié du siècle, se soucier de l’ordre urbain : même la surveillance élémentaire quotidienne était malaisée. Les commissaires et leurs agents étaient bien trop peu nombreux pour faire exister le quadrillage. Mais des progrès décisifs avaient cependant eu lieu à l’aube des années 1840 avec l’instauration de la garde municipale. Ce fut notamment cette idée que le pouvoir impérial reprit à son compte pour enfin tenter l’application d’une surveillance totale.

Notes
676.

AML, 1160 WP 7, Arrêté du Directeur spécial de la police politique, 15/09/1848.

677.

Citons, par exemple, Céline GAILLARD, Les gardes champêtres au XIX e siècle. L’exemple de l’arrondissement de Villefranche, Mémoire de maîtrise dirigé par M. Jean-Luc Mayaud, Lyon, Université Lumière Lyon 2, 1998, 174 f°.

678.

Pour ce qui concerne ces quelques lignes sur la gendarmerie, nous renvoyons à CARTAYRADE Cyril, « La gestion du maintien de l’ordre au XIXe siècle : l’exemple de la gendarmerie de l’agglomération lyonnaise (1791-1854) », Cahiers d’Histoire, n° 1, 2000, pp. 35-46, et n° 2, 2000, pp. 255-268. Voir également sur le sujet Jean-Noël LUC [dir.], Gendarmerie, Etat et société au XIX e siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, 510 p. et Arnaud-Dominique HOUTE, « Le migrant du gendarme. Le quotidien de la surveillance dans le département du Nord pendant la première moitié du XIXe siècle », in Marie-Claude BLANC-CHALEARD, Caroline DOUKI, Nicole DYONET, Vincent MILLIOT [dir.], Police et migrants. France, 1667-1939, Rennes, PUR, 2001, pp. 235-249.

679.

Madeleine METTEY-BUNEVOD, Les fortifications de Lyon dans la première moitié du XIX e siècle, 1793-1858, Thèse d’histoire dirigée par D. Gamboni, Lyon, Université Lumière Lyon 2, 1997, 2 vol., 300 p. Florent PRIEUR, Maintien…, op. cit., f° 239.

680.

ADR, 4 M 1, Attributions et devoirs des commissaires généraux de police, Circulaire du ministre de la Police générale, 17/08/1809. La réquisition militaire ne s’opérait pas grâce au seul bon vouloir du commissaire général puisqu’il lui fallait obtenir l’aval des responsables locaux de l’armée – autres figures incontournables des forces de l’ordre.

681.

Le sous-effectif policier et la dépendance urbaine vis-à-vis de la puissance militaire n’était pas une caractéristique lyonnaise ; même Londres, la plus grande métropole de l’époque, se trouvait dans ce cas. Cf. John STEVENSON, « Social control and the prevention of riots in England, 1789-1829 », in A. P. DONAJGORSKI [éd.], Social Control…, op. cit., pp. 30-32.