Un préfet omnipotent

A la décentralisation administrative correspondirent une centralisation préfectorale et une mise à l’écart de l’autorité municipale. Cela eut pour conséquence un accroissement considérable des pouvoirs 683 préfectoraux (loi du 19 et 24 juin 1851). Il était désormais le responsable tout puissant de l’agglomération lyonnaise, aidé en cela par le décret du 24 mars 1852 qui autorisa le rattachement à la ville de ses trois faubourgs – Vaise, La Guillotière et La Croix-Rousse – à la ville. Dans ce Lyon agrandi, mais aussi dans les communes de Caluire, Sainte-Foy et Oullins 684 , il devint le pendant du préfet de police de Paris. Le symbole de cette omnipotence fut le déménagement de ses bureaux de l’hôtel de ville à l’hôtel de la préfecture – désormais lieu quasi unique de l’exercice du pouvoir. Dans l’optique d’une meilleure application de la théorie du quadrillage, des changements furent opérés après les tâtonnements du premier demi siècle. A la concentration de pouvoirs dans les mains préfectorales correspondit la définitive perte d’influence d’une municipalité qui cessa d’exister. Tout ne se fit pas en un jour, les nombreux projets conservés aux archives départementales et municipales en attestent ; l’opportunité de multiplier des postes « concurrents » de celui du préfet fut discutée. Et pendant un temps, d’octobre 1851 à mars 1852, la ‘«’ ‘ séparation des pouvoirs ’» subsista : au préfet les polices politique et de sûreté, au maire la police municipale 685 . Mais l’idée ancienne selon laquelle une bonne police est une police unie était toujours partagée 686 et, afin de l’appliquer vraiment, le pouvoir prit donc la décision de réunir toutes les polices à la préfecture, et de laisser à la municipalité – désormais nommée – la petite voirie. La mise en place d’un système policier efficace était aussi une question de coût : la centralisation administrative et la fin des querelles avec la municipalité permettaient de ne procéder qu’à une seule dépense.

Afin de répondre à la logique de l’unité, fut créé un commissaire spécial pour la police municipale. En se penchant sur l’organigramme du département de la police à la préfecture, on se rend compte de l’immense pouvoir préfectoral. La première division correspondait à la police exécutive, soit les lieux publics, les cultes, les fêtes et cérémonies publiques (1er bureau), la comptabilité des frais de police (2ème bureau), les différents types de papiers d’identité (3ème bureau), les archives de la police et les sociétés de bienfaisance et de secours mutuel (4ème bureau). La deuxième division correspondait à la police administrative, soit la chasse, l’hygiène et la salubrité, la presse et les écrits, les transports, les repris de justice, les loteries, homicides et accidents, etc. (1er bureau), les prisons, les aliénés, les enfants abandonnés, les secours aux indigents (2ème bureau). Enfin, la troisième division regroupait toute la police municipale, depuis les abattoirs jusqu’au dépôt de mendicité (bureau unique) 687 . Nous arrêtons là cette déjà trop épuisante liste des pouvoirs préfectoraux et renvoyons à l’annexe présentant de façon exhaustive l’organigramme 688 . On aura compris que rien n’échappait au préfet et que tout ce qui relevait de la police était soigneusement décompté et redistribué (les trois grands axes de la police précédemment définis étaient conservés).

Le décret du 5 mars 1853, en supprimant l’institution des inspecteurs généraux et spéciaux tout en créant des commissaires départementaux placés sous les ordres du préfet, accrut encore les pouvoirs de celui-ci. Tout ce qui était relatif à la sûreté générale lui appartenait désormais et lui seul se trouvait en relation directe avec le ministre. Un secrétaire général du département du Rhône pour la police fut institué par la loi du 19 juin 1851. Homme du prince président, homme du ministre de l’Intérieur, il fut, en matière de police, la doublure du préfet. Ce dernier déléguait mais ne partageait pas. Le secrétaire général avait sous ses ordres un commissaire spécial chargé de la police politique, de l’inspection de la librairie, de la surveillance de la Bourse, de la police des mœurs et de la police judiciaire 689 . Malgré tous les efforts du pouvoir, il fallut rapidement faire une entorse à ce type de fonctionnement, en créant deux autres commissaires spéciaux : un pour la police de sûreté, puis, par le décret du 22 février 1855, un autre pour la police des chemins de fer 690 .

La volonté de placer des intermédiaires – même au plus haut de l’échelle de la surveillance – n’avait pas disparu. Peut-être touche-t-on là à une limite du pouvoir préfectoral. En effet, en 1852, on retrouve trace d’un inspecteur général qui jouait le rôle du relais entre la police locale et le prince président qu’il tenait informé ; il correspondait avec tous les acteurs du maintien de l’ordre et revêtait, s’il le fallait, les habits du médiateur entre les différentes autorités. Il semblait se placer encore au-dessus du préfet. Le contrôlait-il ? Malheureusement, nous ne possédons aucune autre information quant à ce fonctionnaire – disparaît-il dès 1853 ?

Notes
683.

Voir le descriptif de ses pouvoirs, annexe n°17. Sur l’étatisation, voir Florent PRIEUR, « Une ville en ordre : l’étatisation de la police lyonnaise (1848-1862) », Histoire Urbaine, n° 6, décembre 2002, pp. 87-113.

684.

Précisons que l’agglomération lyonnaise telle qu’elle fut définie par la loi du 19/06/1851 comprenait également les communes de Villeurbanne, Vaux, Bron et Vénissieux pour le département de l’Isère, et celles de Rillieux et Miribel pour celui de l’Ain. Le préfet du Rhône y exerçait ses pouvoirs, mais dans une moindre proportion que dans les communes du Rhône. Cf. ADR, 4 M 3, Règlement du ministère de l’Intérieur portant organisation du service de police de l’agglomération lyonnaise (exécution de la loi du 19/06/1851), article 4, 17/09/1851. La volonté de « conquérir les marches urbaines » était depuis quelques années commune à l’ensemble des villes françaises. Cf. John MERRIMAN, Aux marges…, op. cit.

685.

Par arrêté municipal du 14/11/1851, la ville fut divisée en six arrondissements de police municipale dirigés par un commissaire municipal inspecteur et six commissaires municipaux.

686.

« C’est une règle absolue, toutes les polices doivent s’entr’aider [sic] et se fondre et ne recevoir qu’une direction unique, ou sans cela, elles se nuisent réciproquement et font plus de mal que de bien ». ADR, 4 M 3, Rapport anonyme, sd [ca 1852-1853 ?].

687.

AML, 1160 WP 7, Organigramme du département de la police à la préfecture, sa, sd [1851-1852].

688.

Voir annexe n°18.

689.

ADR, 4 M 3, Attributions du commissaire spécial, rapport rédigé par lui-même, 09/06/1852. Voir le détail de ses attributions, annexe n°3.

690.

AML, 1160 WP 7, Rapport d’un bureau de la préfecture sur les changements apportés à l’organisation de la police lyonnaise depuis 1851, sa, 1864. Il est vrai que le chemin de fer posait un véritable problème technique de surveillance.