Un profil économique et social médiocre ?

Divers indices permettent d’appréhender le poids socio-économique des commissaires : la profession, l’origine sociale et le niveau de fortune. Il est possible de classer très grossièrement les professions de seulement 110 commissaires. Le groupe des sans profession était de loin le mieux représenté avec 39% des déclarations ; il est probable qu’il s’agissait de rentiers ou de propriétaires. Venaient ensuite ceux exerçant une profession dite supérieure (industriel, négociant, etc.) – 17,25% – puis ceux ayant eu une formation juridique et exerçant le droit (notaire, avocat, huissier, etc.) – 16,25%. A part une minorité (10%) exerçant une profession les plaçant au-dessus de la masse (architecte, archiviste, etc.) mais synonyme quelquefois de misère (instituteur, journaliste), à part le cas extravagant d’un ex-prêtre, on constate la présence d’un forte minorité (16,5%) ayant une profession populaire – ce dernier terme pris dans un sens large – groupant ouvriers, artisans et commerçants. Il est vrai qu’on s’attendait peu à retrouver à pareille fête des ouvriers en soie, des commis ou encore des employés. Avant d’étudier les niveaux de fortune et d’estimer les niveaux sociaux, on peut avancer l’hypothèse suivante : pour ceux qui venaient de la partie supérieure de l’échelle sociale, devenir commissaire était un moyen comme un autre de travailler et de gagner sa vie lorsqu’on était désargenté ; pour ceux venant de la moitié inférieure, il s’agissait d’une promotion sociale. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à s’intéresser aux traitements. Dans la première moitié du siècle, un commissaire touchait annuellement entre 800 et 1 200 francs s’il exerçait dans les faubourgs. En poste à Lyon, il gagnait 1 200 puis rapidement 2 400 francs sans compter les frais de bureau servant notamment au paiement des fournitures et du chauffage du commissariat (entre 200 et 800 francs) et les avantages divers 720 (de 30 à 1 800 francs). Au total, il pouvait toucher entre 1 000 et 2 000 francs et bien souvent plus de 3 000. Entre 1834 et 1836, Bailleul, en poste à La Guillotière, eut un revenu annuel de 5 000 francs. Ces chiffres, loin des fortunes des élites, se situaient largement au-dessus de celles de la majorité de la population laborieuse. Ils étaient également supérieurs de beaucoup aux traitements des agents de police qui n’évoluèrent quasiment pas au fil du siècle. Un agent ou un inspecteur de voirie touchait 1 200 francs sous le Second Empire (contre 1000 francs sous la Restauration). A la même époque, un commissaire était rémunéré à hauteur de 4 000 francs.

Poursuivons notre enquête sur le poids social des commissaires en nous intéressant à leur fortune – c’est-à-dire à ce qu’ils possédaient en dehors de leurs revenus. Malheureusement, nous ne pouvons raisonner que sur un petit nombre d’individus et dans la plupart des cas nous ne possédons que des estimations non chiffrées. Un commissaire était dit « aisé », six « peu aisés » et vingt étaient réputés n’avoir aucune fortune. D’autres étaient aussi peu argentés – on note seulement deux faillis – mais eurent la chance de pouvoir bénéficier de revenus autres que ceux de leur place. C’était le cas de huit anciens militaires – dont les pensions ou soldes s’échelonnaient entre 250 et 1 665 francs – et de pensionnés en tout genre 721 . Parmi les autres déclarant des rétributions parallèles sans autres précisions, deux avaient un revenu inférieur à 1 000 francs, huit un revenu compris entre 1 000 et 2 000 francs, un seul était au-dessus de ces chiffres. Trois étaient dits rentiers (à 1 200, 3/4 000, 4/5 000 francs) ; quelques uns avouaient un capital : 12 000, 15 000, 20/30 000, 24 000 francs. Le commissaire Dessauze à la tête d’un capital de 50 000 francs et payant 75 à 80 francs d’impôts dans les années 1830 représentait l’exception. A suivre la hiérarchie des fortunes définie par Pierre Léon 722 , seule une minorité de commissaires auraient appartenu à la petite bourgeoisie supérieure voire à la moyenne bourgeoisie.

Deux critères, qui ne se combinent pas forcément, plaçaient ces fonctionnaires de police au-dessus des couches populaires : l’argent et l’éducation. Bien sûr, s’ils n’appartenaient pas à la haute société ni aux classes les plus pauvres, ils n’étaient pas exempts de certaines difficultés. Vers 1835, Vaché, affaibli par les maladies et souffrant d’un abcès à la jambe, avait une fille qui se livrait à la prostitution et une mère infirme à sa charge, sans compter quelques dettes à satisfaire. Malgré cet exemple, les commissaires étaient au-dessus de la masse. Qu’on regarde leurs logements si on en veut la preuve. Certes, deux logeaient en garnis, mais les autres habitaient dans leurs meubles et vivaient dans un espace enviable : deux possédaient quatre pièces, trois cinq pièces et autant six pièces 723 . Cela étant, nous sommes conscients que seule une étude davantage fouillée pourrait indiquer une tendance générale.

Toutefois, malgré nos faiblesses, nous avons encore quelques indices permettant de poursuivre notre enquête. Le premier d’entre eux, l’origine sociale, fut décevant car seulement neuf commissaires sur la vingtaine née à Lyon purent être retrouvés dans les registres de l’Etat civil 724 . Rien de suffisamment représentatif, donc. Notons pour mémoire que de par leur profession, les pères comme les parrains ou témoins n’appartenaient ni aux couches populaires ni aux classes les plus élevées ; ils se retrouvaient davantage dans une sorte d’entre deux, dans un monde de commerçants, voire de petits fabricants.

Notes
720.

Vacations aux impositions indirectes et à la garantie des matières d’or et d’argent, aux poids et mesures, gratifications pour coups de filet, etc.

721.

600 francs de pension viagère, 600 francs de pension d’un beau-père, etc.

722.

Pierre LEON, Géographie de la fortune et structures sociales à Lyon au XIX e siècle, 1815-1914, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1974, 437 p.

723.

AML, I1 2B, Etat nominatif des commissaires de police ayant droit à une indemnité de logement dressé par le maire de Lyon, 20/06/1840.

724.

AML, 2 Mi.