Un autre indice, consistant à se pencher sur leur passé professionnel, fut bien plus satisfaisant. La plupart des commissaires n’eurent pas une carrière en ligne droite dont le but affiché au départ eût été un commissariat ; l’absence de concours excluait un tel plan de carrière. En acceptant leur premier poste, ils avaient déjà derrière eux une expérience certaine et souvent contrastée. Nous avons regroupé les parcours dans sept catégories, beaucoup se retrouvant dans plusieurs d’entre elles :
Armée | 49% |
Administration municipale | 34% |
Justice | 21% |
Police | 19,5% |
Profession civile autre | 19% |
Administration générale | 12% |
Administration préfectorale | 7,5% |
Près de la moitié des commissaires de police sortaient de l’armée, certains n’y firent qu’un bref passage, plusieurs y firent carrière. Sortir gradé des rangs aurait été le moyen le plus sûr pour devenir commissaire. Tiendrait-on une explication à la surreprésentation des premières nominations survenant entre 45 et 55 ans ? Il est en effet tentant de la faire coïncider avec la mise en retraite des militaires. Plus encore que l’armée, l’administration a occupé de nombreux individus : 34% furent employés dans l’administration municipale (maire, adjoint, secrétaire, receveur, etc.), 12% dans l’administration générale (ministère de l’Intérieur, Ponts et Chaussées, etc.), 7,5% dans l’administration préfectorale. En réalité, il faut adjoindre à ce groupe celui des personnes ayant fait carrière dans la police (19,5%) car il s’agissait d’une branche spécifique de l’administration (générale, municipale ou préfectorale). Ce groupe spécifique se composait de secrétaires comme d’agents (depuis le planton jusqu’au commissaire départemental). Rares furent ceux à débuter comme simple agent de police avant de terminer commissaire ; quand on faisait toute sa carrière dans la police, on sortait, à l’image de Félix Brayet 725 , sous-officier de Saint-Cyr. Un cinquième des commissaires firent tout ou partie de leur carrière au service de la justice, à des niveaux variés, depuis l’assistant du juge de paix jusqu’à l’avocat et au notaire en passant par le clerc. Enfin, presque autant vécurent de leur profession civile – du moins pour ceux qui en avaient déclaré une – mais elle ne fut jamais l’unique expérience professionnelle précédant un emploi de commissaire.
L’ensemble de ces informations nous invite à conclure que le recrutement des commissaires s’effectuait à partir de trois viviers : l’armée, la justice et l’administration, avec une préférence pour les ronds de cuir. Triple vivier qui correspondait aux trois spécialités de la fonctions : la rigueur et le maintien de l’ordre pour les officiers (police de la sûreté), la connaissance du droit pour les juristes (police judiciaire) et la connaissance des rouages administratifs (police municipale et travaux d’écriture). Un bon candidat devait au moins pouvoir maîtriser l’une de ces compétences, le candidat idéal les possédait toutes – d’où un recrutement privilégiant les parcours « éclatés ». Ainsi Jean-Augustin Deveaux, né à Paris en 1797, fut licencié de l’école impériale de Fontainebleau en 1814, sergent major en 1816, réformé l’année suivante, directeur des douanes de Strasbourg en 1819 avant de démissionner en 1823, puis professeur d’équitation pendant sept ans avant de réintégrer l’armée de 1830 à 1835. De 1835 à 1838, il devint inspecteur de la ferme des jeux de Paris, puis fut nommé inspecteur de la salubrité de la ville ; cette expérience le mena au poste de secrétaire d’un commissaire en 1844 avant de devenir lui-même commissaire de police à Saint-Denis en 1848 puis à Lyon deux ans plus tard.
A côté de telle carrière, il en était d’autres dont on devine tout ce qu’elle renfermait de déclassement. Jules Louis Clarion de Beauval était né en 1817 dans une grande famille, son médecin de père fut membre de l’Institut et professeur à la faculté de médecine de Paris ; licencié en droit et membre du comité du contentieux des domaines de la couronne, il devint commissaire par défaut et surtout par manque d’argent. Devenir commissaire n’était donc pas une vocation – malgré deux exemples de carrières familiales sous la Restauration (Malezon et Liquet ayant succédé à leur père sans que cela ait gêné outre mesure l’administration). On comprend qu’on ait pu dire à propos d’un en 1811 : ‘«’ ‘ Il serait excellent commissaire s’il aimait un peu plus son état’ 726 ». Dès qu’une opportunité s’offrait à eux, ils n’hésitaient pas à la saisir et à abandonner leurs fonctions : ‘«’ ‘ […] la faiblesse des appointemens [sic], l'incertitude de l'avancement et les besoins de ma famille m'ont imposé l'obligation de ne pas laisser échapper des avantages qui améliorent ma destinée et qui peut-être ne se représenteront plus’ 727 ». La vie de Pierre Pautrot Chaumont (né en 1799) est emblématique de la situation des commissaires : issu d’une bonne famille – mais dont il était le bâtard – il épousa une femme appartenant à la bonne société – mais dont la famille était désargentée ; lui-même était un notaire qui n’avait pas le sou pour s’offrir une étude. Il n’eut pas le choix et dut embrasser la carrière de fonctionnaire de police – ce qui signifiait avant tout quitter ses racines.
Né en 1824, commissaire de police de la Part-Dieu durant quelques mois en 1860.
Gabriel Jeannin, alors sans commissariat.
ADR, 4 M 40, Lettre du commissaire Boucher (La Guillotière) au préfet du Rhône, 20/06/1825.