Le bon fonctionnaire à la bonne place

Quelles étaient les qualités requises ? Des critères généraux, plus ou moins précis, valables pour tous les employés de police, furent adoptés par les régimes successifs : instruction, capacité, zèle et activité, moralité (‘«’ ‘ […] il faut que […] la conduite de l’homme privé entretienne la confiance qui est donnée dans le principe à l’homme public’ 731  »), principes et opinions politiques, façon de s’acquitter de ses devoirs, confiance des autorités locales et considération publique. Nous pourrions encore citer l’exactitude, l’assiduité, une belle écriture, un physique solide. Théoriquement, le pouvoir cherchait des candidats remplissant obligatoirement l’ensemble de ces conditions. Tout paraissait important, depuis la moralité jusqu’au physique : ‘«’ ‘ Nul ne sera nommé agent de police s’il ne justifie d’antécédents honorables, et s’il ne remplit les conditions de santé et de vigueur nécessaires pour le service actif auquel il sera astreint’ 732  ». Les sergents de ville devaient être le produit de l’ensemble de ces qualités, à la fois robustes (mesurant au minimum 1,70 mètre), intelligents et instruits (sachant lire et écrire) et d’une honorabilité à toute épreuve 733 . Pour exercer une police totale, les autorités auraient aimé s’entourer de policiers complets.

Mais la division du travail policier entraînant des spécialisations, les différents services possédèrent par la force des choses leurs propres critères de sélections. A un gardien de la paix, appartenant à un corps militarisé, était demandé de fournir un certificat de bonne conduite, un état de ses services et une feuille de ses punitions. Pour un simple agent, son activité et son zèle faisaient partie des principaux critères retenus, plus encore que son intelligence. Le travail qui leur était demandé consistait essentiellement à verbaliser des infractions commises ; la discussion, le règlement de certaines affaires, les notes de synthèse étaient avant tout l’apanage des commissaires (cela n’empêchait pas que le manque d’instruction de certains agents eut pu être regretté). Sous le Second Empire, les agents politiques devaient associer les qualités d’une force physique incontestable, d’adresse et d’intelligence 734 . Ceux spécialement chargés de la surveillance de la prostitution étaient choisis parmi ‘«’ ‘ […] les hommes mariés, pleins de moralité et notoirement connus pour la régularité et la sévérité de leur conduite privée’ 735  ». Pour plus de sûreté, on interdit à la plupart des agents de pénétrer à l’intérieur des maisons de tolérance et des débits de boissons.

On comprend maintenant à quoi servaient ces notices définissant les forces et les faiblesses de chacun : à s’assurer du bon travail des fonctionnaires et savoir si les bonnes personnes occupaient les bons postes. ‘«’ ‘ […] La base de toute organisation, c’est la division du travail. Ne demandez pas à un homme de tout faire, il fera mal : donnez à chacun sa spécialité. Etudiez les caractères : employez ceux-ci exclusivement à prendre des renseignements ; ceux-là à rechercher les individus dont le signalement est donné. Que chacun ait son travail toujours le même ; que le service soit commandé selon les moyens, selon les caractères de chacun des hommes placés sous vos ordres’ 736  ». Trouver la place à laquelle chaque agent pourra utiliser au maximum ses capacités ? Curieux ordre délivré au commissaire spécial mais qui, d’une part, marque les limites d’un système qui n’est pas suffisamment basé sur la formation et le recrutement par concours, et d’autre part, met en lumière le fait que le responsable de la police se doit de connaître parfaitement ses hommes aussi nombreux soient-ils. Un exemple parmi d’autres : être commissaire de police impliquait des responsabilités et, tout naturellement, les autorités se devaient de n’embaucher que des éléments jugés valables. La logique consistait à confier aux moins dévoués les quartiers les plus faciles. En 1823, le commissaire Hue la Colombe fut proposé pour le poste de l’arrondissement de Louis le Grand mais les autorités émirent de nombreuses réserves. Il n’apparaissait pas comme un homme de contact alors que précisément dans ce quartier, il fallait posséder ‘«’ ‘ […] une manière d’opérer qui n’irrite pas des gens de rivière la plupart fort difficiles à manier’ 737  ». Comme le notait un rapport secret de 1811, un commissaire qui ne saurait avoir de bons contacts avec ses administrés serait déconsidéré et déconsidèrerait l’ensemble de ses collègues 738 .

Le pouvoir cherchait par tous les moyens à assembler le grand puzzle de la surveillance pour obtenir la meilleure police possible. Si l’un d’eux ne trouvait pas sa place pour cause d’incompétence, le pouvoir avait tout loisir de le renvoyer ou de le muter. A contrario, le maire de Vaise, ayant sous ses ordres un commissaire d’une qualité jugée exceptionnelle, n’hésita pas à alerter le préfet : ‘«’ ‘ Il conviendrait mieux à une population plus civilisée et moins de talents avec les mêmes principes rendraient les mêmes services ici’ 739  ». Devenir commissaire dans une grande ville comme Lyon était considéré comme une promotion voire un aboutissement. En revanche, les faubourgs lyonnais représentaient l’étape inférieure ou pire un déclassement (où l’on retrouve la théorie du quadrillage et la désignation des faubourgs comme « hétérotopies »). Un commissaire de police de La Guillotière ayant déjà fait ses preuves ailleurs pouvait ne pas été jugé assez « bon » pour pouvoir diriger un arrondissement intra muros ; une fois de plus l’accent était mis non sur la périphérie mais sur le centre ville.

Notes
731.

AML, 1160 WP 7, Projet de réorganisation de la police de Lyon, sa [Bergeret, commissaire spécial], sd [1851-52].

732.

ADR, 4 M 3, Arrêté du ministre de l’Intérieur, 19/12/1871.

733.

Id., Règlement du ministre de l’Intérieur portant organisation du service de police de l’agglomération lyonnaise (exécution de la loi du 19 juin 1851), article 23, 17/09/1851.

734.

Id., Attributions du commissaire spécial, rapport rédigé par lui-même, 09/06/1852. Cf. annexe n°3.

735.

Id., Règlement du ministre de l’Intérieur portant organisation du service de police de l’agglomération lyonnaise (exécution de la loi du 19 juin 1851), article 21, 17/09/1851.

736.

AML, I1 4, Instruction du secrétaire général de la police au commissaire spécial, 25/02/1853.

737.

ADR, 4 M 40, Lettre du maire de Lyon au préfet du Rhône, 15/12/1823.

738.

ADR, 4 M 39, Notes secrètes portant sur les commissaires de police de Lyon et de ses faubourgs, sa, sd [ca 1811-1812].

739.

Lettre du maire de Vaise au préfet du Rhône, 30/08/1826, à propos de Claude Jean-Marie Sérannes de Vèvres, commissaire de police du faubourg.