1 - Une activité prenante

La liste des tâches incombant aux commissaires paraît ne pas connaître de fin. Déroulons l’inventaire à la Prévert : ‘«’ ‘ [...] formaliser toutes les plaintes qu’ils reçoivent, dresser des procès-verbaux de chacune de leurs opérations administratives, constater les contraventions, les délits et les crimes, se trouver dans les spectacles et autres lieux publics, surveiller personnellement les étrangers et les auberges, parcourir la portion de la ville comprise dans leur arrondissement pour inspecter l’état de la voirie, comme le nettoyement [sic], les étalages de toute espèce, les anticipations et les saillies sur la voie publique, etc., se rendre partout où il arrive un accident, accompagner les employés des régies royales, déposer en justice sur presque toutes les affaires qu’ils ont traitées en leur qualité, obtempérer à toutes les demandes des autorités dont ils relèvent et qui les mandent si souvent auprès d’elles, etc., etc’. 756  ».

Leur travail n’était pas de tout repos, on en veut pour preuve la demi-journée passée par le commissaire des Célestins le dimanche 15 décembre 1833. De 15h à 17h, il fit des tournées dans l’ensemble de son arrondissement avant de se rendre au théâtre juste au moment du lever de rideau. Du fait de la foule venue en nombre au spectacle, il exerça pleinement sa surveillance jusqu’à 23h. Ensuite, pendant plus d’une heure, accompagné de ses agents, il assura une ronde pour s’occuper des rixes et querelles émaillant la soirée. Il dut enfin se rendre au corps de garde interroger un individu prévenu d’avoir frappé un agent 757 . Les matinées étaient généralement réservées à l’accueil des habitants, à la rédaction de la correspondance et aux différents travaux d’écriture. Les commissaires devaient aussi trouver le temps de se rendre aux audiences de leurs supérieurs 758 . En 1843, le commissaire de l’Hôtel Dieu avouait travailler 18h par jour ; en six mois, il se targuait d’avoir opéré 320 arrestations, dressé 550 procès-verbaux en tout genre, délivré 200 certificats, reçu 300 lettres et en avoir envoyés 450 759

Quant aux agents, ils devaient s’assurer du maintien de l’ordre, rapporter à leur supérieur les entorses faites aux lois et règlements et conduire les prévenus auprès des magistrats compétents. Il leur était théoriquement interdit de recevoir déclarations et plaintes 760 . Ultimes maillons officiels du quadrillage, ‘«’ ‘ […] ils sont les bras et les instruments journaliers de la police dans tous les actes où la force est nécessaire, leur ministère est pénible, exposé sans cesse aux rebuts, aux injures et même à des dangers réels ; ils ne peuvent disposer d’un moment, étant obligés de déférer à toutes les réquisitions des commissaires de police […]’ ‘ 761 ’ ‘ ’». Commissaires et agents se partageaient un bureau, pièce sommairement aménagée (chaises, bureau, casier, portemanteau 762 ) mais à la hiérarchie marquée. Ces bureaux étaient les plaques tournantes d’une grande partie des forces de l’ordre. Ainsi, sous le Second Empire, les agents appartenant aux divers services de police et opérant des rondes dans la ville devaient « pointer » aux commissariats de quartier matin et soir pour rendre compte de leurs observations et recevoir leurs instructions 763 .

Le travail des policiers en général et des commissaires en particulier reposait sur le regard – technique ancienne – et l’écrit – technique nouvelle. Longtemps la police perpétua des façons de faire héritées de l’Ancien Régime – gestion de proximité au jour le jour reposant sur la mémorisation 764 des faits et gestes des populations sous sa surveillance –, que le pouvoir central, déjà dans l’ère du tout statistique, ne comprenait plus.

Afin de quantifier l’activité policière, nous avons confectionné trois bases de données à partir de trois documents différents : registres d’arrestations, actes administratifs et actes judiciaires. L’idée est d’utiliser une partie des données traditionnellement employées dans l’étude de la délinquance puis de procéder en quelque sorte à un renversement de lecture : ces archives nous renseignent avant tout sur l’activité policière. Les trois ensembles de documents retenus sont particulièrement intéressants car ils correspondent aux grands axes qui fondaient le travail du commissaire, à savoir les polices de sûreté, municipale et judiciaire.

Notes
756.

ADR, 4 M 2, Copie du mémoire adressé par les commissaires de police de la ville de Lyon au préfet du Rhône, sd, transmis au ministre de l’Intérieur le 03/03/1828.

757.

Id., Lettre du commissaire de police des Célestins au maire de Lyon, 20/12/1833.

758.

Une séance quotidienne à la mairie en 1813 (AML, 4 WP 54, Lettre du préfet du Rhône au maire de la Guillotière, 08/09/1813), trois séances hebdomadaires à la préfecture en 1833 (AML, 3 WP 120, Arrêté préfectoral, 18/12/1833), une séance quotidienne dans les bureaux du commissaire central en 1848 (AML, 1160 WP 7, Arrêté du directeur spécial pour la police politique, 15/09/1848).

759.

AML, I1 1, Lettre du commissaire de police de l’Hôtel Dieu au maire de Lyon, 26/06/1843.

760.

ADR, 4 M 2, Règlement du ministre de l’Intérieur portant organisation du service de police de l’agglomération lyonnaise (exécution de la loi du 19/06/1851), articles 17 et 19, 17/09/1851.

761.

AML, 500318, Procès-verbaux des séances du conseil municipal, t. 1 : an IX-an XIV, Lyon, Imprimerie Lyonnaise Nouvelle, 1913, p. 360.

762.

ADR, 4 M 2, Inventaires des deux commissariats de La Guillotière en 1829.

763.

AML, I1 4, Instruction du secrétaire général pour la police aux commissaires de quartier, 15/12/1852. Déjà sous la Monarchie de Juillet, les agents de police devaient se rendre chaque soir à 17 heures à leur commissariat (arrêté de police municipale, 03/01/1840, in Charles PIONIN, Code…, op. cit., p. 745.

764.

Nicolas VEYSSET, « La violence de la pauvreté », in Frédéric CHAUVAUD, « Violences », op. cit., p. 93.