Lyon contre ses faubourgs

Dans l’optique d’une application de la surveillance totale, il fallait que la police lyonnaise eût la mainmise sur celle des faubourgs afin de pouvoir créer et contrôler les hétérotopies. Les velléités lyonnaises d’appropriation des faubourgs furent d’abord exprimées par la mairie centrale arguant des relations multiples unissant les communes de Lyon et de La Guillotière 811 . L’argument était solide : beaucoup d’individus travaillaient à Lyon mais logeaient en garni dans le faubourg, tandis que de nombreux lyonnais venaient passer leur temps libre sur la rive gauche. La question posée était donc légitime : comment appliquer un quadrillage efficace si une commune limitrophe servait de refuge et si les polices ne travaillaient pas en commun ? Tant que le pouvoir central refusa un quelconque rattachement 812 , les autorités locales essayèrent de mettre sur pied divers expédients telles ces fréquentes réunions entre les responsables de la police lyonnaise et les commissaires des faubourgs afin de permettre un suivi des informations et un minimum de coordinations. Puis, le nouveau lieutenant de police De Permont, soutenu par son ministre, souhaita en 1817 faire des faubourgs de Lyon une « adhérence » de la ville afin qu’une affaire débutée intra muros pût se poursuivre extra muros 813 . Deux choses tout de même semblent différencier ces deux projets : celui du lieutenant de police ne souffrait d’aucune ambiguïté puisqu’il était le représentant du pouvoir central et cherchait à appliquer la théorie du quadrillage (n’oublions pas qu’il contrôlait au moins en partie la police des faubourgs) ; on peut être en revanche davantage circonspect face aux vues de l’autorité municipale. Il n’est pas à exclure qu’elle souhaitât réellement une meilleure surveillance mais, alors qu’elle était déjà en conflit avec le pouvoir central sur la question policière, n’essayait-t-elle pas de le contrer sur son propre terrain ? Une audience du maire avec les commissaires des faubourgs ne faisait-elle pas double emploi avec celle du lieutenant général et n’avait-elle pas d’autre utilité que d’affirmer les compétences du maire en matière de police ?

Les municipalités des faubourgs, notamment celle de La Guillotière principale visée, s’opposèrent longtemps à de tels desseins synonymes de perte d’indépendance. Face aux projets de réunion des polices, le maire de La Guillotière ne pouvait accepter que son agent fût placé sous la tutelle du maire de Lyon alors qu’il existait un responsable local de la police 814 . Il refusait que Lyon prît en charge ses affaires. Il s’opposait également au quadrillage tel qu’il était appliqué, puisque sa commune était moins surveillée que Lyon et qu’on ne lui donnait pas les moyens de faire fonctionner une police plus efficace. En 1829, son collègue de Vaise se désespérait de compter parmi les laissés pour compte du quadrillage, sa commune étant pleine de mendiants que le dépôt de mendicité ne pouvait accueillir puisque réservé à la seule ville de Lyon 815 . Ces diverses prises de position entraînèrent des conflits en cascade. Lorsqu’en 1821, le commissaire de police Delpont ne fut pas loin d’être destitué sur avis du maire de La Guillotière, le lieutenant général soutint l’agent contre ce premier magistrat qui se serait servi de l’affaire pour couvrir ses propres déficiences. Cet incident n’était qu’un épisode d’un règlement de comptes qui se poursuivait depuis que le maire du faubourg avait voulu s’occuper des affaires criminelles et correctionnelles, pourtant du ressort du lieutenant général 816 .

Faubourgs indépendants ? Lyon mangeant ses périphéries ? Le pouvoir central finit par trancher et emporta la mise. En 1849, un projet souhaitant réunir les faubourgs à la ville faisait du préfet le chef de toutes les polices – y compris municipale, au grand dam de la mairie. Le projet fut rejeté à l’unanimité par le conseil. Deux ans plus tard, un nouveau projet fut présenté et jugé encore plus sévèrement par le maire. Malgré une légère opposition, son conseil s’opposa une nouvelle fois aux tentations centralisatrices. Il est plaisant de lire les justifications de la municipalité, notamment au sujet de la police municipale. Les attaques en coupe réglée contre une police délaissée, contre une ville sale étaient abandonnées au profit de l’éloge rendu au Lyon devenu si beau grâce à la volonté des conseillers. Contre un pouvoir central présentant son projet comme un moyen de prévenir les résurgences d’un passé politique agité à Lyon, les édiles expliquaient que les causes des explosions de 1831, 1834, 1848 et 1849 étaient à rechercher du côté de Paris. Et un conseiller s’acharnait à ne pas comprendre pourquoi le préfet, qui dominait déjà tout le département du Rhône, voulait encore dépouiller le maire de ses dernières attributions 817 . Allant plus loin que le simple rejet, le maire ressortit la vieille demande de formation de deux classes de commissaires 818 . Il était déjà trop tard. Et si Lyon ne connut pas de municipalisation de sa police à la fin du Second Empire et sous la Troisième République 819 , ce fut aussi en partie à cause des souvenirs des heurts du premier XIXe siècle.

Notes
811.

ADR, 4 M 1, Lettre de l’adjoint au maire de Lyon chargé de la police au préfet du Rhône, 03/09/1813. Nous pourrions citer des dizaines de lettres du même type valables pour les trois faubourgs.

812.

Précisons que les édiles lyonnais ne souhaitaient le rattachement qu’au niveau de la police.

813.

Id., Lettre du lieutenant de police au préfet du Rhône, 01/12/1817.

814.

Id., Lettre du maire de La Guillotière au préfet du Rhône, 17/09/1813.

815.

AML, I4 44, Lettre du maire de Vaise au maire de Lyon, 23/12/1829.

816.

ADR, 4 M 40, Lettre du lieutenant général au préfet du Rhône, 12/07/1821.

817.

AML, 1160 WP 7, Extrait des délibérations du Conseil municipal de Lyon, séance du 19/05/1851.

818.

Lettre du maire de Lyon au commissaire spécial, 03/10/1851. Citée dans Philippe PAILLARD, « L’organisation… », art. cit., p. 30.

819.

Mise à part une brève expérience entre 1870 et 1871.