Des commissaires sévèrement notés

D’après une enquête de 1841 portant sur les treize commissaires de police alors en activité 868 , il est possible de présenter globalement les grandes lignes des appréciations des autorités. Sans surprise, onze d’entre eux avaient une moralité jugée « satisfaisante » ou « très satisfaisante » et tous étaient bien notés relativement à leurs opinions politiques. Les appréciations concernant leurs zèle et activité étaient plus nuancées : ils étaient dits « satisfaisants » ou « très satisfaisants » pour neuf d’entre eux, mais « nuls » ou « médiocres » pour les quatre autres. On relève également que huit étaient jugés peu ou pas du tout « instruits » et « capables ». En résumé, huit sur treize s’acquittaient convenablement de leurs devoirs mais six n’avaient pas la confiance des autorités (dix auraient eu celle du public). En conclusion, tous méritaient de l’avancement, que ce fût comme récompense ou comme stimulant. Il n’est pas besoin de commentaires, nous avons là des résultats fort logiques puisque les commissaires étaient des hommes du pouvoir mais qui n’étaient pas recrutés sur critères professionnels. Cette enquête assez générale pointait tout de même certaines lacunes inquiétantes pour le pouvoir.

Nous avons créé dans notre base de données concernant les commissaires de police une importante rubrique destinée à recevoir les appréciations du pouvoir. Sur 103 fiches pour lesquels nous possédons ces renseignements, seulement le tiers ne contenait que des notations entièrement positives : ‘«’ ‘ […] son instruction, le zèle, l’activité qu’il déploie […] font espérer qu’il justifiera les espérances flatteuses qu’il a donné, sa probité est connue, il jouit dans le public d’estime et de considération, ses principes religieux, politiques et moraux sont et ont toujours été ceux d’un sujet dévoué à la monarchie ’» (Bardoz, La Guillotière, 1826 869 ). Malgré quelques exemples de ce type, les autorités avaient des reproches à adresser à deux commissaires sur trois, ce qui est énorme. Il ne faudrait pas pour autant croire que ceux-ci étaient tous bons à être révoqués sur le champ. Certes, une poignée apparaissaient peu dignes de leur fonction, mais la plupart étaient relativement bien notés tout en ne remplissant pas la totalité des critères du commissaire idéal définis par le pouvoir. Le tableau ci-dessous réunit l’ensemble des principaux critères négatifs ainsi que leur fréquence. Il convient de remarquer que ces critères sont restés valables depuis 1800 jusqu’à la Troisième République au moins.

Tableau n° 16 : Critiques adressées aux commissaires de police de Lyon (162 cas) – 1800-1870
  Occurrences %
Concussions/Plaintes 3 2%
Mésentente (agents, maire) 4 2,5%
Mésintelligence 6 3,5%
Absence de confiance des autorités 8 5%
Absence de considération publique 19 11,5%
Manque de zèle 20 12,5%
Manque d’instruction 22 13,5%
Caractère difficile ou faible 22 13,5%
Immoralité 24 15%
Manque de capacité et d’activité 34 21%

Les autorités étaient d’abord attentives aux rapports que les commissaires avaient avec les autres ; ils ne pouvaient en effet pas exercer convenablement leur profession s’ils n’avaient pas la confiance de leurs administrés, si leur caractère difficile entravait leurs relations avec leurs collègues et la population et s’ils étaient déconsidérés à cause de leurs vices (près du quart de ces commissaires étaient accusés d’ivrognerie ou de mœurs licencieuses à l’image de Rascalon – « veuf et père tout en vivant en concubinage avec une fille de 24 ans » (La Guillotière, 1852)). Sinon, leur travail lui-même était remis en question : le zèle et le manque d’instruction faisaient défaut à beaucoup mais pas autant que la compétence et le rendement. Le tiers des commissaires était réputé manquer de capacité et d’activité : un tel ‘«’ ‘ […] néglige ses fonctions et s’occupe plus particulièrement de se fabriquer du goudron et des briques factices dans la cour de son ancien logement place Louis XVIII » ’(Leroy Dumolard, Fourvière, 1831). Cette accusation peut être mise en regard de l’âge de certains. L’âge et l’incapacité physique de quelques commissaires étaient dénoncés car ils étaient incapables d’assurer leur service extérieur 870 . Tout de même un cinquième des commissaires n’auraient pas possédé une instruction suffisante ; peut-être convient-il de se méfier d’une accusation portée par ceux qui possédaient un maximum d’instruction. On peut alors envisager que peu se seraient trouvés dans la situation de Guillermet de Vatillieux : ‘«’ ‘ Non seulement il ne sait pas le français mais il ne sait même pas l’orthographe, il ne peut pas faire un rapport qui soit lisible ’» (Halle aux Blés, ca 1835). Et nous repensons à ce registre d’arrestations qui contenait tant d’états approximatifs : « coifuse », « boulenget », « sanprofession », « sculture », « chandarmerie »…

Naturellement, l’appréciation des autorités fut parfois diamétralement opposée d’un régime à l’autre. Nous avons déjà évoqué ce cas avec la question des révocations ; cela ne peut pas être considéré comme un dysfonctionnement puisque étant un choix délibéré du pouvoir. En revanche, les différences d’appréciations sous un même régime sont plus inattendues mais il ne serait pas étonnant qu’elles aient reflété les dissensions entre les chefs de la police.

Quelle crédibilité accorder à ces critiques ? Un exemple parmi d’autres, celui de Ferroussat que les légitimistes comme les orléanistes n’avaient jamais trouvé à la hauteur de ses fonctions ni ménagé de leurs reproches. Il resta en poste seize ans sans être révoqué (Hôtel Dieu puis Métropole). Soit le personnel était insuffisant, ce dont nous doutons, soit plus vraisemblablement certaines critiques étaient outrancières et étaient un moyen de régler des comptes. Nous en voulons pour preuve les résultats d’une enquête de 1818 qui montraient que la majorité des commissaires étaient totalement incapables : ‘«’ ‘ escroc de profession au jeu, ortographe et stile de cuisinier, ayant contribué à ruiner plusieurs jeunes négociants, incapacité complète, moteur de l’affaire des suisses, entièrement dévoué au parti et ayant le 5 septembre dans le café Berger déclamé contre le roi et ses ministres [sic]’ ‘ 871 ’ ‘ ’» (Arnaud, Pierre Scize). Moins de dix ans plus tard, les jugements se firent moins sévères et l’on vit l’administration louer le zèle et l’exactitude d’Arnaud. Ne perdons pas de vue qu’en recrutant après une révolution de nouveaux fonctionnaires de police sur des critères essentiellement politiques, il fallait nécessairement un laps de temps pour savoir si tel ou tel était réellement capable. Enfin, un bon commissaire de faubourg n’était pas forcément apprécié quand il était en poste au cœur de la cité. Globalement, cela pose à nouveau la question de la faiblesse du recrutement professionnel dans la police.

Notes
868.

ADR, 4 M 28.

869.

Nous notons entre parenthèse le nom du commissaire auquel se rapporte la critique, son commissariat d’exercice ainsi que l’année à laquelle elle fut écrite. Ces notations proviennent de plusieurs cartons d’archives qui nous permirent de les compléter au fur et à mesure : ADR, 4 M 39-41 et AML, 517 WP 21.

870.

ADR, 4 M 1, Rapport de l’adjoint au maire de Lyon au préfet du Rhône, 07/05/1821.

871.

La même enquête de 1818 affirmait que le commissaire Séon avait « […] tué de sa main plusieurs personnes en public » et méritait les galères ! Cela montre bien le climat politique délétère de 1818 à Lyon, quelques mois après la grande vague répressive de 1817. Cf. Nicolas BOURGUINAT, « La ville, la haute police et la peur : Lyon entre le complot des subsistances et les manœuvres politiques en 1816-1817 », Histoire Urbaine, n° 2, décembre 2000, p. 143.