Le problème liminaire était de savoir quelles sources étaient susceptibles de révéler des réseaux du XIXe siècle. Nous avons écarté la possibilité de croiser différentes sources (qui auraient certes livré des informations complètes) car cela aurait demandé un investissement très lourd pour un résultat aléatoire et limité. Nous avons également écarté l’idée de travailler sur les témoins au mariage – trop souvent employés et critiqués – et, fidèle à notre engagement initial, nous avons préféré chercher du côté des archives de justice. Deux possibilités se firent jour. La première concernait les registres de jugements du Tribunal correctionnel de Lyon (côtés U Cor aux Archives départementales du Rhône). Seuls les registres des parties civiles (affaires de particuliers contre particuliers) étaient utilisables dès lors qu’ils faisaient mention des témoins à charge et à décharge, ce qui limitait leur recours au 1er Empire. Cette source est utilisable puisque les témoins n’étaient pas tant ceux qui avaient vu quelque chose que des éléments du réseau de relations des parties en présence. Pour les années 1805 à 1808, 317 individus – appelés désormais référents – ont été retrouvés, auxquels correspondent 1 293 membres de réseaux – appelés référentiels.
Ce premier recensement était intéressant mais insuffisant. Il ne permettait pas de généraliser ses résultats à l’ensemble de la période étudiée. Il fallait donc retrouver des réseaux pour la fin du Second Empire et les débuts de la Troisième République. L’ennui était que le Tribunal correctionnel avait déjà fourni tout ce qu’il pouvait. Ce fut alors que Carlos Carracedo, pour les besoins de sa propre thèse, redécouvrit les Actes de notoriété. Nous tenions là notre deuxième voie pour l’étude des réseaux. Ces actes se retrouvent dans les papiers de la justice de paix classée par arrondissement (côtés 7 Up aux Archives départementales du Rhône). Mais les documents disponibles étaient, une fois encore, limités. Des données ont uniquement pu être récoltées pour les années 1863-1878 909 et pour le seul 8ème arrondissement de justice de paix (rive gauche du Rhône, depuis la limite sud de la ville jusqu’au cours Lafayette) ; au total 348 réseaux ont été exhumés et 1 462 référentiels retrouvés. Pour comprendre pourquoi de telles archives contiennent des informations relatives aux réseaux, il suffit de retenir la définition de l’acte de notoriété. Prenons un exemple : quand une personne souhaite se marier et que son père est porté disparu, il lui faut établir un acte de notoriété devant un notaire ou un juge de paix afin d’attester d’un fait constant et notoire – en l’occurrence que la personne est bien l’enfant du disparu. Pour que cette attestation soit conforme, des témoins sont nécessaires (des gens proches du disparu ou de son enfant) 910 .
Au bout du compte, deux corpus homogènes purent être reconstitués aux deux extrémités de notre période. Pour reprendre la terminologie des sociologues, ils correspondent à des « réseaux personnels 911 » – soit des réseaux en forme d’étoile centrés sur un individu. On estime qu’il s’agit essentiellement de réseaux amicaux. Si ‘«’ ‘ le réseau d’un individu apparaît comme un ensemble de cercles concentriques au centre desquels il se trouverait’ 912 », on ne sait pas vraiment quelles couches nos sources nous permettent d’aborder ; elles doivent cependant être proches du centre puisque les référentiels forment le groupe des individus auxquels le référent peut demander un service.
Ne disposant pas d’outils très performants, nous avons traité nos données à l’aide du logiciel FileMaker Pro 5 913 . Nous n’avons malheureusement que trop conscience de la fragilité de l’entreprise. Nous ne recomposons que des fragments de réseaux, des bribes de relations ; nous ne saurons rien de leurs qualité, ancienneté et nature, ni de leur forme. Mais peut-il en être autrement au vu des sources du XIXe siècle ? Malgré tout, nous nous permettrons de comparer les deux corpus en fonction de données classiques (sexe, âge, profession, domicile, parenté, origine géographique). Toutefois, nous excluons l’idée d’une analyse trop détaillée. Il s’agira de tracer les grandes lignes de ces réseaux et de formuler bon nombre d’hypothèses.
La date de 1878 est arbitraire. Nous nous sommes arrêtés à la fin de cette année parce que, d’une part, les actes de notoriété se faisaient de plus en plus rares et, d’autre part, parce que nous étions arrivé à un total de référents satisfaisant, proche de celui du Tribunal correctionnel.
Pour un même acte, nous avons quelquefois le demandeur, le disparu ou le décédé, des héritiers. Comment savoir à quel(s) réseau(x) appartiennent les témoins ? Généralement, le réseau est celui du demandeur (dans certains cas de disparition ancienne, les témoins n’avaient jamais connu la personne en question). Les rares cas litigieux recensés ne constituent pas un biais suffisant pour être gênants.
Par opposition aux « réseaux sociaux ». Cf. Michel FORSE, « Les réseaux… », art. cit., p. 256.
Alain DEGENNE, Michel FORSE, Les réseaux…, op. cit., p. 28.
Cf. annexe n°1/xii et xiii.