L’indice du domicile

Tableau n° 22 : Domicile des référentiels par rapport à celui des référents – 1805-1808/1863-1878
 
1805-1808 1863-1878
% des référentiels (1 242 cas) Nombre de réseaux concernés (317 cas) % des référentiels (1 300 cas) Nombre de réseaux concernés (317 cas)
Même immeuble 1 6 10 70
Même rue 29 126 10 84
Reste du quartier 22 115 55 234
Ailleurs dans la ville 43,5 195 23,5 140
Autres 4,5 29 1,5 10

95,5% des référentiels des années 1805-1808 habitaient la même ville que leur référent. 55 étaient domiciliés ailleurs dans le département du Rhône, le plus souvent à proximité du domicile du référent – sur le type Lyon/faubourg. Cet écart géographique ne concernait que 29 réseaux. Qu’on ne conclue pas précipitamment à une trop grande proximité géographique. En effet, parmi ceux qui habitaient la même ville, 43,5% ne résidaient pas dans le même quartier que leur référent ; surtout, cela concernait 61,5% des réseaux – soit l’indice géographique le plus fréquent. Au bout du compte, les indices de proximité géographique, à défaut d’être les plus récurrents par rapport au nombre de réseaux, étaient majoritaires parmi les référentiels (52%). On tempèrera toutefois un tel résultat en relevant la faiblesse des réseaux d’individus habitant le même immeuble et la répartition équilibrée entre ceux vivant dans la même rue et ceux domiciliés ailleurs dans le quartier.

Pour établir ces comparaisons, nous avons suivi la répartition des quartiers du début du XIXe siècle – qui suivait la plupart du temps les délimitations des arrondissements de police. La proximité n’étonne guère tant le réseau urbain d’alors était resserré. Malgré tout, on n’était pas du même quartier selon qu’on habitait sur les quais du Rhône ou de la Saône, même là où la Presqu’île était la plus étroite. Au-delà de ces considérations mitigées, cette étude met à mal la déjà cacochyme image du quartier village. Le Lyonnais possédait un réseau de relations autant ancré dans son quartier qu’à l’extérieur. Il connaissait des gens dans toute la ville. Il y avait donc une pratique spatiale de la ville s’expliquant sans doute par sa dimension humaine. Dans le même temps, et cela n’est contradictoire qu’en apparence, la rue apparaît prépondérante dans la toile relationnelle. Le voisinage était certainement le vivier le plus pratique pour tisser son réseau de connaissances. L’interconnaissance aurait été telle qu’on ne pouvait pas ne pas connaître ses voisins 917 .

A considérer à présent les données du second échantillon, une évolution est perceptible. Ce n’étaient plus 52% des référentiels qui habitaient le même quartier que leur référent mais 75% – même si le réseau que l’on tissait à proximité de chez soi n’était pas toujours uniquement composé d’individus croisés sur son palier. Le quartier avait beaucoup évolué depuis 1800. Sur la rive gauche du Rhône, il était devenu plus large et plus lâche que sur la Presqu’île où il ne se composait que de quelques rues. N’oublions cependant pas que près du cinquième des relations venaient d’ailleurs dans la ville, de la rive gauche bien entendu mais, plus sûrement encore, du Lyon ancien. Ce décalage s’expliquait parfois par un déménagement plus ou moins récent du référent ; il s’expliquait également par la réactivation d’un réseau familial. Telle jeune femme de La Guillotière, ayant besoin d’une reconnaissance pour pouvoir se marier, fit appel à des individus logeant sur la Presqu’île, pour la simple raison que son père, aujourd’hui disparu, y avait habité 918 . La plupart des réseaux intégraient des dimensions de proximité : 22% étaient concernés par un référentiel habitant la même maison (ce qui était bien plus qu’au début du siècle), 26,5% en abritaient au moins un domicilié dans la même rue et 74% dans le reste du quartier. 44% connaissaient une mixité spatiale. Ainsi, les réseaux étaient encore mixtes mais leur diffusion dans l’ensemble de la cité s’amenuisait au profit d’une proximité relative, celle du quartier.

Existait-il des choix relationnels qui fussent fonction à la fois de l’espace et de la catégorie socioprofessionnelle ? Sous le 1er Empire, au niveau du quartier comme à l’échelle de la rue, la répartition des commerçants et des ouvriers artisans recoupait la répartition totale. Au niveau du reste de la ville, un renversement s’opérait : les travailleurs manuels devenaient moins représentés (par rapport au nombre total d’ouvriers artisans) alors que les activités du commerce l’étaient davantage. Le nombre de réseaux d’ouvriers artisans concernés par la proximité géographique était élevé (49% « même rue », 46% « même quartier ») mais chutait dès lors qu’ils intégraient une dimension spatiale éloignée (38%). La répartition des réseaux de commerçants était plus étale mais tout de même un tiers d’entre eux englobaient des référentiels domiciliés hors du quartier (28,5% « même rue » et 27% « même quartier »). L’idée de mixité en sort confortée et apparaît même plus importante en ce qui concerne les commerçants. On aurait pu les croire davantage repliés sur leur rue alors qu’ils étaient aussi enclins à étendre leurs réseaux à l’ensemble de la ville – ce qui finalement était peut-être en liaison avec leur profession (le marchand étant, par exemple, en contact avec divers intermédiaires qui n’habitaient pas forcément son quartier et qui pouvaient intégrer son réseau). Pour 1860-1878, les tentatives de croisement ne donnent rien. Au mieux peut-on repérer que les commerçants resserraient leur réseau sur le quartier alors que les ouvriers artisans continuaient d’être présents dans tous les cas de figure (près du 1/5e de leurs réseaux étaient uniquement constitués de référentiels domiciliés dans un autre quartier que le leur). Malgré cela, pour tous, l’important restait le quartier.

Enfin, pour être complet, précisons que les femmes auraient eu davantage tendance que les hommes à choisir leurs réseaux dans leur environnement proche ou hors de la ville. Elles étaient moins nombreuses à piocher hors de leur quartier, dans le reste de la ville. Ces différences, minimes et seulement valables pour la première cohorte, ne doivent pas faire oublier qu’il n’existait pas réellement de réseaux sexués. Les recherches menées sur les réseaux de femmes sont restées vaines.

Notes
917.

Voir, au sujet de ces rapports, Michel DE CERTEAU et Luce GIARD, Arts de faire, Invention du quotidien – 1, Paris, Gallimard, 1990, 349 p.

918.

ADR, 7 Up 797, Acte de notoriété n° 494 de Marie Villers, 28/09/1863.