L’indice de la profession

Tableau n° 23 : Profession des référentiels par rapport à celle des référents – 1805-1808/1863-1878
 
1805-1808 1863-1878
% des référentiels (1 214 cas) Nombre de réseaux concernés (306 cas) % des référentiels (1 272 cas) Nombre de réseaux concernés (306 cas)
Même profession 13 88 12,5 73
Même branche 11 79 8,5 52
Profession différente 76 271 79 296

A considérer le début comme la fin de la période, le constat est le même. Des individus recensés, seuls 13% puis 12,5% avaient la même profession que leur référent et 11/8,5% travaillaient dans la même branche. En conséquence, 76/79% déclaraient une profession différente – ce qui est vraiment beaucoup 919 . La faiblesse de la profession partagée n’est donc nullement redressée par ceux qui auraient pu travailler dans un même secteur d’activité. On pourrait croire que cette mixité professionnelle serait atténuée au regard des catégories socioprofessionnelles. Il n’en est rien ; quelque échantillon qu’on regarde, environ un tiers des référentiels appartenaient à la même CSP que leur référent. L’indice de la profession, au même titre que celui du domicile, bouscule pas mal d’idées reçues – même les militaires, pourtant casernés, ne font pas jouer leur réseau de l’armée. Elevés aux maçons de la Creuse et aux auvergnats de Paris, nous finissions pas désespérer de sortir d’un schéma bien trop endogamique pour être honnête… Si on ne peut nier l’existence d’un réseau purement professionnel, force est de constater que ceux que nous étudions ici ne s’appuyaient pas sur cette constante : le maçon ne faisait pas toujours appel à un autre maçon, ni même à un charpentier ou tout simplement à un ouvrier artisan quel qu’il fût. La plupart des gens entretenaient des rapports avec d’autres personnes qui pouvaient avoir avec eux un rapport professionnel plus ou moins proche, mais qui le plus souvent n’en avaient aucun. Il n’y avait pas 8% des réseaux qui n’intégraient pas au moins un référentiel venant jouer les trouble-fêtes.

Si un constat identique s’impose à nos deux cohortes, l’explication des résultats risque d’être davantage spécifique. Le mélange des ouvriers, des artisans et des commerçants sous le 1er Empire n’était que la conséquence d’une ville ouverte brassant ses populations tant au niveau spatial qu’au niveau social. Pour la fin du Second Empire et le début de la Troisème République, on se risquerait presque à parler de principe de mixité. La différence professionnelle y était effectivement encore plus marquée qu’en 1805-1808. La ville pratiquait, surtout sur la rive gauche du Rhône, une plus grande différenciation des populations qu’elle ne l’avait fait soixante ans auparavant – et encore le cloisonnement n’était pas très étanche. Ce serait la proximité spatiale qui expliquerait la mixité professionnelle ; à choisir son réseau dans son quartier, on était « obligé » de porter son choix sur une population hétérogène car il ne se trouvait pas de rues dédiées à une profession particulière.

On peut affiner ces données en regardant si une profession ou un groupe socioprofessionnel n’aurait pas été plus fermé qu’un autre. Mais se baser sur des professions particulières n’apporte aucune information intéressante et mieux vaut utiliser les CSP. En 1805-1808, la seule tendance remarquable concernait les réseaux des commerçants. Ceux-ci faisaient, plus que d’autres, appel à des individus n’exerçant pas une profession liée au commerce. 88,5% de leurs réseaux étaient dans ce cas, contre 63,5% pour les ouvriers et artisans. Par rapport au total des réseaux, la représentativité des deux groupes s’équilibrait (83 et 86 réseaux) alors que le premier était numériquement plus important que le second (94 contre 136). Il est probable que les commerçants, en interface avec tout un quartier voire toute une ville, aient eu une position centrale de pilier de l’interconnaissance. En 1863-1878, l’ouverture professionnelle totale était le fait de toutes les CSP – et logiquement de celles qui étaient peu représentées à l’échelle de la société urbaine (type militaires). Cette ouverture était très marquée parmi les employés (77% de leurs réseaux) et les commerçants, mais dans une proportion moindre que par le passé (58,5%). Les résultats ne sont pas forcément des plus probants car on raisonne sur des groupes trop restreints – sauf pour les ouvriers artisans qui finalement étaient ceux qui connaissaient le plus d’ouvertures professionnelles même si à peine un réseau sur deux était dans ce cas.

Notes
919.

Nous rejoignons ici Maurizio Gribaudi qui avait montré, à partir des actes de mariage, qu’il existait une proximité entre des professions d’ordinaire jugées éloignées. Cf. Maurizio GRIBAUDI, « Les discontinuités… », art. cit., p. 214.