Les différents types de débits 997

Nous avons jusque là évoqué le débit de boissons comme lieu populaire par excellence mais les autorités de l’époque classaient sous ce terme générique un grand nombre d’établissements qui avaient souvent peu de choses en commun et qui révélaient de sérieux antagonismes sociaux, loin de l’image du petit bistrot qui a été privilégiée dans les descriptions d’intérieurs. Sous la Restauration, les termes employés étaient divers mais ne renvoyaient pas toujours à des réalités facilement cernables (qu’entendait-on par cabaret café ou par vinaigre cabaret ?). Passons sur le restaurant et la gargote qui, d’une part, n’étaient pas des lieux purement récréatifs et qui, d’autre part, n’avaient pas pour intérêt principal la vente de boissons. L’auberge et l’hôtel, tous deux réservés aux voyageurs, proposaient le souper et d’abord le coucher ; hôtels et restaurants s’adressaient à une clientèle aisée. Pour boire, on pouvait se rendre chez le vinaigrier, l’épicier, le rôtisseur 998 , le liquoriste ou le marchand de vin (qui débitait en gros pour les cafés mais qui devint, après 1850, synonyme de cabaretier). Le débit à proprement parler, celui dont l’activité première était la vente de boissons, groupait les cafés, cabarets, limonadiers, débits d’eau de vie et buvettes. A partir du Second Empire, les débits de bière firent leur apparition, plus connus sous le nom de brasseries (la bière restait alors chère). Le café, comme la brasserie, le divan oriental ou l’estaminet (café où l’on fume), renvoyait à plusieurs réalités. Il était souvent associé à un lieu riche et fréquenté par des messieurs bien mis ; ce n’était toutefois pas une constante et certains cafés connaissaient et/ou acceptaient une clientèle populaire. Le terme même de café, selon le Robert Historique de la langue française, devint, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, synonyme courant de débit de boissons. Le café chantant, jusqu’au milieu du Second Empire, se confondait avec le théâtre s’il était chic ou avec le cabaret s’il était populaire 999 . Le cabaret, plus modeste que le café, comptait en effet peu d’habitués appartenant aux bourgeoisies ; il incarnait le véritable débit populaire, proposant parfois des spectacles jugés subversifs par les autorités. Théoriquement, le limonadier, comme son nom l’indique, n’était autorisé à ne vendre que de la limonade, mais devint synonyme de cafetier. Quant à la buvette, elle proposait, en plein vent, toutes sortes de boissons. Contrairement aux autres débits qui accueillaient leurs clients dans la chaleur de leur intérieur, ‘«’ ‘ Ces buvettes de plein air se composaient d’un comptoir revêtu d’étain, abrité d’un toit et de côtés en bois pour protéger des courants d’air. Un plancher surélevait la tenancière et lui tenait les pieds au sec, contrairement aux consommateurs qui, en cas de pluie, avaient les pieds dans l’eau […]. L’échoppe possédait également un fond, orné parfois d’une belle glace’ ‘ 1000 ’ ‘ ’». Tous ces débits n’étaient pas également présents dans l’espace urbain. Sur les 1 089 établissements dont on connaît le type particulier en 1857, la moitié (51%) étaient des cabarets et 13,5% des buvettes. Ce qui fait que près des deux tiers des débits avaient une clientèle strictement populaire. Les cafés s’arrogeaient le tiers restant (34%), se trouvant encore peu concurrencés par les brasseries (1,5%).

Véritable point de repère dans une rue, le débit n’était pas comme aujourd’hui un lieu immédiatement attractif, en ce sens qu’il manquait de visibilité. Il y avait bien de grands cafés richement décorés et réservés à une clientèle aisée, mais la plupart des débits se fondaient dans le paysage urbain, à peine différenciés par une enseigne ou une façade particulière. Une majorité d’entre eux soit ne portaient pas de nom soit se signalaient par leur seule dénomination commerciale – buvette, cabaret – sans autres indications supplémentaires. En 1857, sur l’ensemble des quartiers, 289 débits étaient identifiables grâce à leur nom, soit seulement un peu plus du quart (26,5%). De ceux-ci, 60% (174) correspondaient au nom du propriétaire ou à un autre nom propre : Chez Irène ou café Richelieu ; 24% (69) avaient été dotés d’un nom commun renvoyant à une idée ou à une caractéristique particulière du débit (Concorde, Comédie, Caveau) ; 16% (46) renvoyaient à un lieu précis : la rue qui les desservait ou le « pays » d’origine du patron. On pourrait s’interroger sur ce relatif anonymat et conclure à un fort enracinement de quartier qui n’aurait pas nécessité une mise en avant pour des clients qui auraient été avant tout des voisins. A moins qu’il fût question d’une habitude si éloignée de la nôtre qu’elle nous échappe et que l’identification du plus timide des estaminets se faisait aisément avec d’autres critères que ceux de l’ostentation et de l’enseigne explicite (un seul portait l’inscription « On vend à boire et à manger »).

Notes
997.

ADR, 4 M 455-461, AML I1 240-241 et 3 WP 120.

998.

Les débitants acceptaient mal la concurrence déloyale des boulangers, épiciers, charcutiers et autres portiers qui vendaient des boissons à emporter. Cf. ADR, 4 M 494, Pétition des débitants lyonnais adressée au ministre des Finances, 15/05/1852.

999.

Jean-Luc ROUX, Le café-concert à Lyon, XIX e -débutXX e siècles, Mémoire de maîtrise dirigé par M. Jean Lorcin, Lyon, Université Lumière Lyon 2, 1994, f° 13 sq.

1000.

Hélène DE LA SELLE, Cafés et brasseries de Lyon. Architecture et décor des cafés et brasseries de Lyon des origines à 1914, Paris, Jeanne Laffitte, 1986, p. 47.