2 - Géographie du débit de boissons

Son implantation dans l’espace local

Les archives ne livrent malheureusement pas d’informations complètes pour la totalité du siècle et forcent à travailler essentiellement sur le Second Empire, même si des sources, au demeurant fort lacunaires, ont pu être retrouvées pour les décennies antérieures. Le tableau suivant livre le nombre de débits de boissons recensés entre 1856 et 1873 à différentes échelles, de la ville au département :

Tableau n° 31 : Evolution du nombre de débits de boissons dans le département du Rhône – 1856-1873
  1856 1857 1858 1868 1871 1873 1875
Lyon - 1098 - 2975 2740 2748 2740
Agglomération de Lyon - - - - - 551 -
Arrondissement de Lyon 2219 - 3573 5230 - 707 -
Arrondissement de Villefranche - - - - - 759 -
Total Rhône - - - - - 4765 -

A Lyon, l’évolution du nombre de débits fut spectaculaire sous le Second Empire 1002 , passant de 1098 à 2975, soit une augmentation de 171% correspondant aux années de libéralisation du régime. Cependant, le chiffre de 1857 est certainement incomplet, ne prenant pas en compte la totalité des quartiers 1003  ; cela étant, il n’en reste pas moins qu’il devait être en dessous de celui de 1868. L’effondrement catastrophique du régime impérial, l’occupation étrangère – qui put entraîner la fermeture de brasseries tenues par des Allemands – et les années d’Ordre Moral expliquent le tassement constaté en 1871 et prolongé en 1873 et 1875 encore. Malgré cela, ces décennies semblent correspondre aux beaux jours du débit lyonnais. Vers 1873, la ville comptait environ un débit pour 117 habitants. Ce dernier chiffre est réellement impressionnant 1004 surtout qu’il comptabilise des populations qui mettaient rarement les pieds dans un café (les enfants notamment). On peut établir, pour l’année 1873, une comparaison avec les bourgs et villages de l’agglomération lyonnaise :

Tableau n° 32 : Nombre d’habitants pour un débit dans l’agglomération lyonnaise en 1873
  Nombre d’habitants Nombre de débits Habitants/débit
Bron 1015 9 112
Caluire et Cuire 8440 68 124
Miribel 3205 25 128
Oullins 5126 32 160
Pierre-Bénite 1638 12 136
Rillieux 1314 13 101
Sainte-Foy 4668 46 101
Vaux 1238 14 88
Vénissieux 4750 49 97
Villeurbanne 7474 205 36
Camp de Sathonay 7848 78 101

De fortes disparités sont à relever mais, globalement, la plupart des communes avaient un rapport habitants par débit plus élevé qu’à Lyon. Peut-être que certaines communes pâtissaient de leur proximité avec Lyon tandis que des villages plus éloignés, sur des itinéraires passants, concentraient davantage d’activités (type marchés) et donc plus de débits. Oullins et Pierre-Bénite auraient ainsi eu fort à faire avec la concurrence lyonnaise, de même que Caluire-et-Cuire. Villeurbanne était l’exception mais qui s’explique aisément : les limites communales englobaient les plaines de la rive gauche où les Lyonnais venaient passer leurs dimanches. Un tel lieu de plaisir ne se concevait pas sans de nombreuses buvettes, d’où ce résultat laissant rêveur de 1 débit pour 36 habitants. Quant à Sathonay, la prolifération des débits s’explique par la présence massive des militaires – les civils ne groupant que 11,5% des habitants.

Quoi qu’il en fût, la part de Lyon restait prépondérante : en 1873, des 3 299 débits de l’agglomération lyonnaise, 83,5% étaient concentrés dans la ville. A raisonner à partir de l’arrondissement, Lyon s’arrogeait près de la moitié des débits vers 1856-1857, 57% en 1868 et 68,5% en 1873. Cette même année, le département du Rhône totalisait 4 765 débits, dont 57,5% se trouvaient à Lyon. Ainsi, la part de Lyon ne cessa de croître : la ville voyait son nombre de débits augmenter alors que le tassement du tournant des années 1860-1870 toucha davantage les communes alentour.

Notes
1001.

ADR, 4 M 456-461. Cf. ci-après pour le détail des communes de l’agglomération de Lyon. Les chiffres de l’arrondissement et de l’agglomération de Lyon en 1873 correspondent au nombre de débits hors Lyon (exceptés ceux de l’arrondissement de Lyon en 1856, 1858 et 1868).

1002.

Malgré le décret du 29/12/1851 qui soumettait l’ouverture et la fermeture des débits au bon vouloir préfectoral. Notons que la loi postérieure du 17/07/1880 autorisa tout citoyen jouissant de ses droits civils et politiques à ouvrir un débit. Cf. Jacqueline LALOUETTE, « Les débits de boissons urbains entre 1880 et 1914 », Ethnologie Française, n° 2, 1982, p. 131.

1003.

Surtout lorsqu’on sait qu’il y avait environ 1 545 débits en 1783 et encore 1 643 en 1836 (913 à Lyon, 129 à Vaise, 176 à La Croix Rousse et 425 à La Guillotière). Maryse DIAZ, Martine DUMONT, Cafetiers…, op. cit., vol. 1, f° 43 et vol. 2, f° II.

1004.

Rappelons pour mémoire que vers 1780 la ville (sans les faubourgs) offrait 1 débit pour 700 habitants. Cf. Daniel ROCHE, « Le cabaret parisien et les manières de vivre du peuple », in Maurice GARDEN, Yves LEQUIN [dir.], Habiter…, op. cit., p. 235.

1005.

ADR, 4 M 459.