3 - Un complément à l’étude de la violence : le tribunal correctionnel

En définitive voleurs et violents se ressemblaient : c’étaient des hommes jeunes et appartenant aux classes populaires. Les plus jeunes appartenaient davantage à la première catégorie qu’à la seconde, mais la vraie différence se situait au niveau du domicile : même s’il s’agit de tendances plus que de franches divergences, les voleurs œuvraient de préférence dans le quartier alors que les violents se dispersaient plus volontiers dans la ville. Les rapports entre volés et violentés étaient également nombreux : des hommes encore – mais moins nombreux que chez les agresseurs – connaissant une certaine proximité géographique. La différence s’opérait pour eux au niveau professionnel malgré la forte présence dans les deux cas des commerçants et des ouvriers/artisans.

Ce panorama n’est guère satisfaisant car en partie tronqué. Le problème, déjà pointé, découle de l’analyse de la violence puisque les chiffres avancés reposent sur un corpus trop peu fourni pour être toujours crédible. Nous proposons donc de clore cette présentation des acteurs de l’agression en la complétant par 140 affaires de violences verbales et physiques passées devant le Tribunal correctionnel sous le 1er Empire. Ces 140 affaires correspondent à 432 individus regroupés en 280 groupes d’opposants. Au tribunal correctionnel, ceux qui portaient plainte étaient naturellement considérés comme victimes, les agresseurs étant accusés. En réalité, l’approche était différente. Il s’agissait sans doute d’une utilisation de la justice dans l’optique de régler un conflit 1087 , ce que prouvent les décisions des juges… ou plutôt leur absence de décision tant il leur était impossible de savoir qui était victime et qui était agresseur. C’est pour cela que nous n’avons pas pu intégrer ces affaires aux actes judiciaires qui marquaient plus finement et sûrement une distinction entre groupes d’opposants. Ici, nous considèrerons l’ensemble des individus comme ayant pris part à des actes de violence, en partant du principe qu’il est question d’agressions mutuelles.

La répartition par sexe était toujours favorable aux hommes (72,5% des individus) mais la part des femmes se révélait loin d’être négligeable (29,5%) – ce qui confirme les premiers résultats des actes judiciaires qui montraient l’implication féminine dans les affaires de violence, même si elles apparaissaient victimes avant tout. 59% des 280 groupes inventoriés étaient uniquement masculins, 23% exclusivement féminins et 18% mixtes. Voilà qui insiste sur la présence féminine et la mixité dans la violence et relève un peu l’importance du couple dans l’affrontement violent. Ce que vient confirmer le fait que 63% seulement des opposants opérèrent seuls, qu’un quart étaient deux et 7% trois. Au bout du compte, les affaires mettant aux prises une personne contre une autre étaient minoritaires (44,5%) ; tous les cas de figure étaient envisageable mais le plus récurrent opposait deux personnes à une autre (27%).

La répartition par âge de 405 individus apporte d’intéressantes indications :

Tableau n° 43 : Age des violents (405 cas) – 1804-1809
  Nombre %
<20 ans 20 5
20-29 ans 113 28
30-39 ans 137 34
40-49 ans 81 20
50-59 ans 45 11
60-69 ans 7 1,5
70 ans et + 2 0,5

Par rapport aux actes judiciaires, un important rééquilibrage a lieu. Voyons d’abord les confirmations : les jeunes adultes de 20 à 39 ans étaient les plus nombreux mais les plus jeunes de moins de 20 ans étaient en général exclus de la violence, de même que les plus vieux (60 ans et plus). Les résultats indiquent que la violence n’était pas l’affaire des seuls jeunes, ne fût-ce que parce que la classe d’âge la mieux représentée était celle des 30-39 ans et non celle des 20-29 ans si hégémonique d’après les actes judiciaires. 1/5 des individus concernés par une affaire de violence groupait des quadragénaires, alors que ceux-ci avaient été absents de nos analyses jusqu’à présent. La violence n’aurait pas été seulement l’apanage d’une jeunesse transgressant les normes sociales mais aurait aussi fait partie de ces normes comme pratiques partagées par le plus grand nombre.

La répartition professionnelle offre moins de surprises, se contentant de redoubler celle mise en lumière par les actes judiciaires :

Tableau n° 44 : Profession des violents (395 cas) – 1804-1809
  Nombre %
Ouvriers/Artisans 185 47
Commerçants 101 25,5
Employés 48 12
Classes supérieures 36 9
Travailleurs de la terre 13 3,5
Forces de l’ordre 2 0,5
Sans 2 0,5
Divers 8 2

Près d’un acte violent sur deux était le fait d’un travailleur manuel 1088 tandis qu’un sur quatre était imputable à un commerçant. Ces résultats viennent confirmer les précédents ; le plus important est sans doute de pointer la fréquence des délits violents touchant les marchands en tout genre : ils partageaient l’insulte et les coups avec les ouvriers/artisans. Comme les affaires considérées ne concernaient que les parties civiles, le rapport à l’autorité est fort différent de ce qu’il pouvait être avec les actes judiciaires. Ici, point de forces de l’ordre prises à partie par la population. Les conflits étaient autres, certainement plus proches du quotidien des Lyonnais. Avec la présence ou non de l’autorité, on voit très bien comment deux bases fabriquées à partir de deux sources différentes peuvent apporter des éclairages singulièrement divergents. Autre confirmation : les domestiques et employés étaient peu nombreux dans les affaires de violence, de même que les classes supérieures – ce qui est nettement moins intrigant. Pour être complet on notera le peu d’importance des sans profession et des professions peu qualifiées et on expliquera la présence des travailleurs de la terre par l’importance prise par quelques jardiniers dans une ou deux affaires.

Pour terminer, indiquons que 349 (81%) individus entendus par le Tribunal correctionnel pour insultes ou coups habitaient Lyon, 64 (15%) ses faubourgs tandis que 17 (4%) étaient domiciliés ailleurs (le plus souvent dans les communes de la « couronne » lyonnaise). Nous voilà donc suffisamment armés pour pouvoir comparer les profils des acteurs de l’agression quotidienne.

Notes
1087.

Voir chapitre XI.

1088.

Une fois encore, et au risque de se répéter, on constate que toutes les branches d’activité des ouvriers/artisans étaient représentées.