Rapports de profession

Trois types de rapprochements professionnels nous intéressent ici. En premier lieu, il s’agira de ventiler les différentes catégories socioprofessionnelles parmi les agresseurs et les victimes. Puis nous comparerons la profession des individus s’opposant, avant d’essayer d’estimer la position sociale des uns par rapport aux autres.

Comment se répartissaient les catégories socioprofessionnelles ? Qui était agresseur, qui était agressé ?

Tableau n° 46 : Répartition des catégories socioprofessionnelles en fonction du type de délits commis (375 et 508 cas) – 1833-1855
 
Agresseurs Agressés
Nombre % Nombre %
Ouvriers/artisans 175 58,5 125 41,5
Commerçants 55 25 163 75
Employés 73 49,5 74 50,5
Classes supérieures 16 17 77 83
Forces de l’ordre 10 15,5 55 84,5
SP 46 76,5 14 23,5

Le groupe des employés fournissait tout autant des unités aux agresseurs qu’aux agressés. Celui des ouvriers et artisans se répartissait également de façon homogène mais était avant tout présent parmi les agresseurs (en premier lieu chez les violents). Les sans professions, professions infâmantes et non reconnues appartenaient – en aurait-on douté ? – à la catégorie des agresseurs. La logique inverse prévalait pour les commerçants, forces de l’ordre et professions supérieures ; comme nous l’avions pressenti, ils étaient des cibles privilégiées.

Les individus qui s’opposaient avaient-ils une profession identique ?

Tableau n° 47 : Proximité professionnelle entre agresseurs et agressés (229 cas) – 1833-1855
  Nombre %
Même profession/branche 29 13
Même CSP 37 16
Autres 163 71

La proximité professionnelle était l’exception : on s’opposait peu entre gens du même métier ou de la même branche. Les 10% d’individus ayant la même profession étaient quasiment tous des représentants du groupe des ouvriers/artisans. La plupart des oppositions se faisaient entre des individus appartenant la plupart du temps à des catégories socioprofessionnelles différentes. Opérer une distinction entre les affaires de violence et les atteintes aux biens ne change pas vraiment la donne. Dans les deux cas, on s’en prenait d’abord et largement à l’autre, à celui qui n’avait pas une profession identique à la sienne. Mais si on violentait celui qui exerçait une toute autre activité que la sienne dans près de 75% des cas, on le volait moins de sept fois sur dix. Ce qui signifie qu’il y avait de la place pour le vol entre soi. Toutefois, les chiffres de la violence sont difficilement interprétables car reposant sur moins de cent affaires. Il nous faut les enrichir des 299 liens retrouvés grâce aux disputes portées devant le Tribunal correctionnel. 21,5% des liens vont dans le sens d’une homogénéité (même profession/branche), 26,5% indiquent des catégories socioprofessionnelles semblables et 52% des CSP distinctes. La diversité l’emportait toujours, mais il faudrait relever les indices de proximité. Ces résultats correspondent parfaitement à ceux dévoilés par les réseaux de relations.

Dernière piste à explorer, complémentaire de la précédente : s’attaquait-t-on à un semblable ou à quelqu’un possédant une assise sociale plus confortable que la sienne ? Nous avons rapidement estimé le rang social de chacune des parties en présence et dresser le tableau suivant (à partir des seules données des actes judiciaires) :

Tableau n° 48 : Proximité sociale entre agresseurs et agressés (229 cas) – 1833-1855
 
Vol Violence Total agresseurs
Nombre % Nombre % Nombre %
Rang social + 89 60,5 30 36,5 119 52
Rang social – 8 5,5 17 21 25 11
Rang social = 50 34 35 42,5 85 37

Ce tableau n’a qu’une pure valeur indicative, mais ses données sont précieuses. Les agresseurs s’en prenaient d’abord à des individus socialement supérieurs (52%), voire à des égaux (37%) mais rarement à ceux qui leur étaient socialement inférieurs (11%). De manière générale, le supérieur auquel on s’attaquait n’était pas un inconnu ; d’une certaine façon ces agressions révélaient une véritable proximité. Celle-ci était soit directe et correspondant aux relations patrons/employés – commis/négociant, débitant de boissons/garçon de café, maître maçon/ouvrier maçon – soit indirecte et renvoyant aux relations de services à clients – ouvriers/artisans en prise avec son cafetier, son épicier, etc. Les actes judiciaires n’étaient pas avares d’affaires de ce genre où le patron confiait de l’argent à son employé pour faire une course et ne revoyait jamais ni la somme ni l’employé ; d’autres fois, l’employé s’amusait à faire passer ses frais sur la note de son maître…

A vouloir détailler les types de délits, on se heurte au peu de comparaisons possibles relevant de la violence. Malgré tout, il est clair que le voleur détroussait de préférence plus riche que lui – son maître, son patron ou le commerçant opulent du quartier. Mais il volait également son semblable dans un tiers des cas. A priori, la répartition concernant la violence était plus nuancée : on insultait et frappait celui qui avait une assise sociale peu éloignée de la sienne (ce qui n’était pas nécessairement contradictoire avec des catégories socioprofessionnelles éloignées) ; les différences sociales étaient peut-être moins marquées dans le cadre de la violence que dans celui du vol. Par exemple, l’ouvrier maçon aurait plutôt volé un négociant et se serait battu avec un maître maçon ; bien qu’il s’agît de deux individus supérieurs socialement, le premier était plus éloigné de sa sphère sociale que ne l’était le second.

Notes
1089.

Rang social +, – et = : le rang social de la victime était supérieur, inférieur ou égal à celui de l’agresseur.