Rapports de domicile

Volait-on ou insultait-on son voisin de palier ou celui qui habitait à l’autre extrémité de la ville ? Une dernière fois, nos deux bases de données nous seront utiles pour déterminer la proximité géographique entre ceux qui s’affrontaient par le vol ou la violence.

Tableau n° 49 : Proximité géographique entre agresseurs et agressés (166 cas) – 1833-1855
 
Vol Violence Total agresseurs
Nombre % Nombre % Nombre %
Même rue 24 17,5 20 29 44 21,5
Même quartier 33 24 18 26 51 25
Même ville 36 26,5 21 30,5 57 27,5
Autres 44 32 10 14,5 54 26

Globalement, les résultats sont très homogènes : 46,5% des liens indiquent une proximité contre 53,5% qui indiquent des rapports géographiques plus lâches, voire carrément éloignés. Pour les rapports entre les voleurs et les volés, la proximité géographique regroupait 41,5% des liens, ce qui signifie qu’on dévalisait en priorité celui qui habitait loin de chez soi (ailleurs dans la ville ou dans une autre ville). Mais la majorité n’était pas écrasante et ne doit pas masquer l’importance, une fois de plus, du vol entre soi. Compulsant les archives de police, nous avons souvent mis la main sur des affaires opposant des connaissances : on passait la journée ensemble, on échangeait par jeu ou par mégarde sa veste, on « oubliait » de se la rendre, et le plus heureux de racler le fond des poches ! Les réseaux de relations ont montré la proximité amicale existant entre des individus habitant loin l’un de l’autre. Cette dimension de l’interconnaissance était également présente dans le vol entre soi. Deux amis se rencontrèrent au détour d’une rue et, ravis de se retrouver, passèrent la soirée ensemble jusque fort tard dans la nuit. Il était si tard que l’un proposa l’hospitalité à l’autre qui habitait trop loin pour rentrer chez lui. Le lendemain matin, l’hôte se réveilla tôt et partit furtivement sans avoir les mains vides 1091 . L’interconnaissance explique qu’on ne se méfiait pas. Telle dévideuse s’étonna d’avoir été volée par une fille de sa connaissance, ancienne voisine qui était venue la voir une semaine auparavant et avec laquelle elle avait bavardé pendant trois heures 1092 .

Une première approche de la violence indique des résultats inverses de ceux relatifs au vol puisque la proximité l’emportait dans 55% des cas. Plus fiables sont les chiffres livrés par l’étude de la violence en correctionnelle (sur 344 liens) :

Tableau n° 50 : Proximité géographique entre individus s’opposant dans des affaires de violence (344 liens) – 1804-1809
  Nombre %
Même maison 22 6,5
Même rue 54 15,5
Même quartier 84 24,5
Ailleurs dans la ville 141 41
Ailleurs dans le département 41 12
Autres 2 0,5

46,5% de liens en faveur d’une proximité de l’habitat, 53,5% en faveur d’une dispersion : ce sont exactement les mêmes chiffres que ceux des rapports agresseurs/agressés fournis par les actes judiciaires. Au-delà d’une apparente égalité entre proximité et éloignement, il faut surtout noter les 41% de liens montrant des rapports éclatés dans toute la ville – hors d’un même quartier. La violence ne concernait donc pas uniquement des querelles de voisinage… Malheureusement, il est très difficile de savoir si proximité et diversité des profils recoupaient des réseaux de relations. On a simplement pu remarquer que les rapports entre agresseurs et agressés étaient plus ou moins semblables à ceux unissant référents et référentiels. On notera, pour mémoire, que l’étude de 55 criminels condamnés par la Cour d’assises du Rhône et guillotinés à Lyon ou dans ses environs confortait cette impression. Leurs victimes leur étaient familières dans près de sept cas sur dix, étant soit une parente (32%) soit une connaissance ancienne ou de proximité (36%) 1093 .

Le vol, davantage que la violence, répondait à des spécificités établies : rôle important des moins de vingt ans, différence sociale souvent marquée entre le voleur et sa victime. Pour le reste, il n’y avait pas réellement de profil type. On s’opposait à son semblable comme à l’autre. La mixité, qui était la règle dans les réseaux amicaux, qui mêlait les individus dans leurs moments de loisirs, présidait aux rencontres agressives. Les mêmes personnes se retrouvaient dans ces trois moments du vivre ensemble, trois moments évidemment fortement liés les uns aux autres. Toutefois, l’hétérogénéité sociale du centre ville conditionnait en partie cette diversité ; il faudrait pouvoir mener de semblables études sur la fin du XIXe siècle.

Après avoir présenté les acteurs de l’agression, nous aimerions détailler les délits et tenter d’analyser plus en détail les raisons du vol et du conflit pour retrouver leur impact au sein de la société urbaine.

Notes
1090.

Selon les dates, les trois faubourgs ont été comptabilisés dans la rubrique « même ville » ou « autres ».

1091.

AML, I3 20, Actes judiciaires du commissaire de police de Villeroy, Affaire Pastor, 08/07/1844.

1092.

AML, I3 11, Actes judiciaires du commissaire de police de Pierre Scize, Affaire Bajard, 01/11/1835.

1093.

Alexandre NUGUES-BOURCHAT, Le spectacle…, op. cit., f° 17.