Les lieux du délit

Les registres de police ne précisent pas toujours avec précision les lieux où une agression était commise ; les actes judiciaires nous sont une fois de plus très utiles en nous livrant 520 renseignements à ce sujet.

Tableau n° 54 : Les lieux du délit (520 cas) – 1833-1855
 
Vol Violence Total agressions
Nombre % Nombre % Nombre %
Domicile 180 48,5 39 26,5 219 42
Rue 65 17,5 86 58 151 29
Lieu de travail 79 21 11 7,5 90 17,5
Lieux publics 45 12 11 7,5 56 11
Campagne 3 1 1 0,5 4 0,5

Globalement, l’agression se déroulait au domicile de la victime ; c’était le cas de près d’un vol sur deux. Le vol était également une pratique répandue sur le lieu du travail (un vol sur cinq en moyenne) ce qui confirme les rapports patrons-victimes/employés-voleurs déjà mis en avant. Le plus souvent, ce lieu de travail n’était autre que la boutique du commerçant, plus rarement l’atelier. Le vol dans la rue et celui commis dans un lieu public (gare, église, théâtre…) relevaient du même principe et regroupaient environ trois affaires sur dix. Comme le vol à domicile, ils n’étaient pas forcément l’apanage des voleurs professionnels – bien que la rue et le débit de boissons fussent les lieux de prédilection des pickpockets. Le vol de rue était aussi vol d’occasion, sur l’étalage d’un marchand ambulant, dans le véhicule d’un voiturier ou dans un bateau lavoir.

Nombre d’actes de violence débutaient au café – et pas seulement parce qu’il était le premier lieu de sociabilité populaire ; l’alcool exacerbait les passions et faisait entrer certaines personnes dans des fureurs indescriptibles. La rixe, invariablement, se terminait – à défaut de commencer – dans la rue, lieu par excellence des règlements de compte. Pour cette raison, les lieux publics (de même que les lieux de travail) apparaissent peu dans notre tableau. Leur rôle était pourtant majeur dans le conflit parce que le patron de café ou les garçons de bordel étaient à l’origine de sérieuses échauffourées lorsque les clients dépassaient la mesure. Passage du Gaz, une rixe éclata entre les employés de la maison de tolérance Jonet et sept clients qui, pris de boisson, avaient commencé à battre les filles 1095 . Mais près de six affaires sur dix avaient lieu à l’extérieur ; la différence avec le vol se situait donc à ce niveau. L’ensemble de l’espace était concerné par la violence et il ne semble pas que certains quartiers fussent plus que d’autres propices à la violence. De manière attendue, les quartiers du centre, plus actifs et populeux, concentraient le plus d’affaires, ainsi que les faubourgs, lieux de forte présence ouvrière, de plaisirs et de l’octroi (où l’on essayait de berner l’employé de faction). Le domicile était plus rarement le théâtre d’agression complète : un quart des actes de violence s’y déroulait. Il s’agissait la plupart du temps de violences intra familiales ou, sinon, de violences qui débutaient au domicile pour s’achever à l’extérieur. Lorsque Crocé et Cameskuella, deux plâtriers peintres, se battirent, ils le firent dans la rue ; quand le premier voulut de nouveau en découdre quelques heures après, il n’entra pas chez son camarade mais l’appela depuis la rue pour le faire descendre 1096 . Dans de nombreuses querelles de voisinage, il était précisé que l’agresseur suivit sa victime jusqu’à ce qu’elle fût en pleine rue avant de l’attaquer. Après avoir exprimé son intention d’en découdre avec son comparse, Loubet sortit du débit où il était attablé et ‘«’ ‘ […] dit qu’il allait l’attendre au bas de son allée afin d’exécuter la menace qu’il venait de lui faire’ ‘ 1097 ’ ‘ ’». La rue – voire la cour d’immeuble – représentait le lieu de l’agression physique ou verbale, le lieu clos celui de la mise en sûreté. Là se jouait la domination d’une personne sur une autre car il fallait tenir la rue, le repli étant synonyme d’échec, nous y reviendrons. Quand une lingère fut assaillie par une de ses voisines lui assénant des coups violents accompagnés des ‘«’ ‘ épitaphes les plus grossières »’, elle n’eut d’autre choix que de se réfugier dans l’épicerie la plus proche 1098  ; cette habitude du repli était très fréquente.

Notes
1095.

ADR, 4 M 102, Rapport de police, 08-09/04/1864.

1096.

Id., 16/12/1862.

1097.

AML, I1 116, Rapport du commissaire de police du Palais des Arts, 14/12/1848.

1098.

Id., 20/06/1848.