2 - Aspects du vol

Arrêtons-nous à présent plus longuement sur le vol et essayons de répondre à deux questions simples et terriblement difficiles à résoudre : que volait-on et pourquoi ?

Des types de vol

350 (85%) affaires de vols consistaient en des spoliations directes ; les voleurs dérobaient et emportaient avec eux une ou plusieurs choses appartenant à autrui. Le vol qualifié, synonyme généralement de bandes organisées de malfaiteurs, a été exclu de cette comptabilité ; il est principalement question de vols occasionnels. 14% des délits catalogués comme vols étaient en réalité des escroqueries et des faux en écriture (soit des spoliations indirectes). Quatre délits enfin se caractérisaient comme étant des vols et des escroqueries.

Le peuple de Lyon se plaçait dans une logique ancienne du vol, certainement conditionnée, sous ses formes irréfléchies et spontanées, par la tentation et/ou la misère. Peu de vols élaborés passaient par la domination de l’écrit : ce type de délit était alors l’apanage des lettrés et devint une pratique des « classes moyennes » seulement à la Belle Epoque, coïncidant avec le nouveau poids social des cols blancs. L’escroquerie populaire n’était que grossière filouterie dont la réussite devait plus à la naïveté de la victime qu’à l’élaboration d’un savant stratagème. Deux individus liaient connaissance, l’un exhibait sa montre à l’autre qui faisait part de son désir de la lui racheter ; un prix était fixé ; l’acheteur allait alors chercher à son domicile l’argent tout en gardant avec lui la montre ; l’autre, confiant, attendait, évidemment en vain 1099 . L’escroc profitait de la détresse de sa victime qui, de son côté, était prête à tout accepter. Deux personnages en manque de scrupules extorquèrent ainsi 500 francs à un pauvre militaire contre une liqueur capable de le faire réformer 1100

Nous savons que le vol pouvait être perpétré par des individus spécialisés dans ce genre de délits. L’étude des profils des voleurs indique pourtant que le vol d’occasion commis par des citadins ordinaires était une réalité à ne pas négliger. Le butin des malfrats peut fournir d’autres indications précieuses sur ce point. Alors, qu’est-ce qui fut dérobé (sachant que divers bien purent être volés par une même personne) ?

Tableau n° 55 : Les produits du vol (390 cas) – 1833-1855
  Nombre de vols Fréquence
Objets divers 187 55%
Linges et vêtements 86 25,5%
Argent 82 24%
Nourriture 31 9%
Animaux 4 1%

Le chapardage de nourriture, geste des plus démunis, apparaissait déjà comme un archaïsme hérité de l’Ancien Régime 1101 en un siècle qui souffrait moins de la faim. Cela concernait ceux qui se trouvaient en dehors des solidarités ordinaires, à l’image de ce jeune homme de 18 ans sans domicile ni profession qui, ayant volé un saucisson à un épicier charcutier, invoqua le besoin de manger 1102

Importait, plus que tout, la capacité de revente de l’objet volé. En ce sens on peut souligner que le quart des affaires correspondait à des vols de linges et de vêtements, cette fois encore comme sous l’Ancien Régime – mais cette habitude là ne dépérissait pas. Jean-Claude Berger, manœuvre maçon originaire de Morzine, sans domicile assuré à Lyon, vola du linge qui se trouvait dans un bateau à laver qu’il gardait. Le lendemain il partit le revendre dans le Nord Isère, entre Bourgoin et La Verpillière, pour 6,50 francs 1103 . Plus intéressant que le linge : l’argent que l’on dérobait relevait de la nécessité tout autant que de la tentation ; dans 32 cas le voleur s’emparait de moins de 50 francs mais arrivait autant de fois à soustraire de 50 à 500 francs – le vol de grosses sommes était plus exceptionnel, seulement mentionné à neuf reprises. Il n’y avait finalement rien de prémédité, l’individu se faisait voleur lorsque la tentation s’offrait à lui – quelle que fût cette offre, 500 francs ou deux francs – et en fonction de ce qu’il était capable de prendre sans être vu. On volait peu ce qui était volumineux et encombrant, bien que certains s’unissent pour soustraire des quantités considérables de « n’importe quoi », espérant toujours revendre 15 morceaux de bois démolis, cinq à six quintaux d’os ou encore 400 kilos de plomb. On volait, pensant qu’on arriverait toujours à en tirer un prix quelque part ; en ce sens le vol de malles pleines est emblématique. La revente aux particuliers était d’ailleurs aisée car on demandait peu à celui qui proposait à un prix modique ce dont on avait justement besoin (en revanche, il était toujours malvenu de revendre des bijoux aux orfèvres auxquels le pouvoir fournissait la liste des objets dernièrement dérobés). Une marchande de nouveautés acheta ainsi des montres et des bijoux à un individu qu’elle ne connaissait pas, sans avoir demandé d’où provenaient les marchandises ; à la demande du juge d’instruction, elle répondit : ‘«’ ‘ Je ne sais pas son nom, il ne m’a pas dit son nom, je ne lui ai pas dit le mien’ 1104  ».

Notes
1099.

AML, I3 20, Actes judiciaires du commissaire de police de Villeroy, Affaire Montauteme, 05/12/1844.

1100.

ADR, UCor 154, Tribunal correctionnel de Lyon, Affaire Dumange, 27/06/1815. Les ruraux de passage à Lyon (militaires ou civils) étaient aussi de bons clients pour les filous qui les soûlaient avant de les dévaliser dans le no man’s land des périphéries. Voir par exemple ADR, 4 U 247, Procès Bessereau et Couillerot, 05-06/1872.

1101.

Arlette FARGE, Délinquance et criminalité : le vol alimentaire à Paris au XVIII e siècle, Thèse d’Histoire dirigée par M. Robert Mandrou, Paris, Université Paris X Nanterre, 1971, 345 f°.

1102.

AML, I3 28, Procès-verbal du commissaire de police de Perrache, 25/02/1854.

1103.

ADR, UCor 154, Tribunal correctionnel de Lyon, Affaire Berger, 03/01/1816.

1104.

ADR, 4 U 227, Procès Moret et alii, Déposition de Louise Bayère, 17/03/1870.