Toutes les affaires, ou presque, concernaient une violence physique dirigée contre autrui 1121 ; les actes judiciaires donnent des résultats un peu différents de la correctionnelle à cause de l’importance des rébellions à agents. Si on ne prend pas en compte ce type de délits, ce sont les trois quarts des affaires – et non 69% d’entre elles – qui intégraient la dimension de la violence physique. Sans conteste, la révolte envers les autorités n’était qu’une forme de rixe ou de voie de fait dirigée contre une population spécifique. On doit tout de même préciser qu’apparemment des déprédations étaient intégrées aux voies de fait ; celles-ci n’auraient donc pas uniquement accompagné une violence dirigée contre les personnes. De la même manière, la sphère de la violence incluait la notion de tapage qui n’était pas toujours – loin de là – synonyme de coups échangés. Le tapage renvoyait avant toute chose au désordre de la parole, aux cris, aux vociférations et englobait la notion de déprédation. Concernant les affaires de mœurs – allant de la vente du « Petit Lapin de ma femme », ouvrage outrageant, au viol collectif de mineure – leur apparente sous représentation s’explique par leur caractère privé, caché sous des monceaux de non-dits ; elles n’en étaient pas moins des exemples des rapports étroits qu’entretenaient violence et sexualité.
La violence physique, comme la violence verbale, comprenait différents degrés d’intensité : plus l’injure était grave et dégradante, plus les coups étaient proches. Il y avait différents niveaux de proximité corporelle. Le geste éloigné, insultant et accompagnant l’injure – les cornes du cocu – était d’abord utilisé. Par la suite, le premier contact consistait fréquemment à prendre son adversaire par le col afin de lui montrer sa supériorité en se rendant maître de lui. Ce geste, comme le soufflet, était le prélude aux échanges de coups. Et quand on décidait d’en venir aux mains, on ne se contentait pas d’un coup de poing ; le degré de violence était généralement très élevé et peu en phase avec notre sensibilité actuelle. On se frappait à coups de pied et de poings, on se mordait, on s’arrachait les cheveux et faisait couler le sang avec ce que l’on pouvait (ongles, objets du quotidien, armes) ; quelquefois, l’affrontement durait plusieurs dizaines de minutes. De tels comportements agressifs étaient partagés tant par les hommes que par les femmes. La violence qui s’exprimait entre femmes n’avait rien à envier à celle des hommes. Et quand les hommes s’en prenaient aux femmes, rien ne laisse présumer qu’ils retenaient leurs coups. Telle épouse maltraitée par son mari ‘«’ ‘ […] avait la figure enflée et toute meurtrie, la lèvre déchirée à l’intérieur et enflée à l’extérieur’ ‘ 1122 ’ ‘ ’» ; telle autre ‘«’ ‘ […] a toute l’étendue des paupières inférieures tuméfiée et noire ; la partie extérieure de la cuisse droite est le siège d’une forte contusion tuméfiée et noire et la partie intérieure et extérieure de la cuisse gauche est aussi le siège de deux contusions tuméfiées et noires, enfin […] la partie du bas ventre […] est dans le même cas […]’ ‘ 1123 ’ ‘ »’. Après une « simple » rixe, il n’était pas rare qu’au moins une des deux parties écope de plusieurs jours d’arrêt de travail : tel violent coup de canne entraîna, par exemple, un ulcère et 24 jours de guérison 1124 . L’irréparable était toujours possible : un client, fâché de s’être fait jeter hors d’un cabaret, s’y réintroduisit de force et bouscula très violemment une domestique dont le crâne se fendit sur les pierres de sol 1125 . Le degré de violence était si élevé qu’on n’hésitait pas à s’aider d’instruments contondants. A titre d’exemple, de 40 crimes commis dans le département dont les auteurs furent condamnés à mort, quatorze furent perpétrés à l’aide d’un couteau, objet familier qu’on gardait au fond de sa poche. D’autres objets du quotidien (bouteille, marteau, pelle) furent employés à neuf reprises, tandis que la pierre, le bâton et les mains nues le furent huit fois. Les autres armes utilisées furent la strangulation (quatre cas), l’empoisonnement (trois) et l’arme à feu (deux) 1126 . Le crime le plus grave, et a fortiori la violence banale, s’opéraient dans un environnement familier et se caractérisaient par une soudaineté et une brutalité que soulignait l’emploi d’armes ordinaires.
Cf. tableau n° 56.
AML, I3 20, Actes judiciaires du commissaire de police de Villeroy, Affaire Coudurier, 09/1844.
AML, I3 11, Actes judiciaires du commissaire de police de Pierre Scize, Affaire Chiron, 18/08/1835.
ADR, U Cor 7, Jugements du Tribunal correctionnel de Lyon, Affaire Jacquemin, 24/11/1807.
AML, I3 11, Actes judiciaires du commissaire de police de Pierre Scize, Affaire Mazourdier, 18/10/1835.
Ces chiffres concernent des crimes commis en milieux rural et urbain. Cf. Alexandre NUGUES-BOURCHAT, Le spectacle…, op. cit., f° 18.