Le critère du logement

Conjointement avec le travail, le logement était un aspect primordial de l’intégration. Sa nature influait-elle sur les opinions ? Toutes les enquêtées ou presque logeaient en garni. Ce type particulier d’habitation n’était pas considéré comme un domicile fixe par les autorités. On estime cependant que pour une bonne part de la population lyonnaise il en allait autrement, tant le recours au garni représentait une forme banale de logement. Il s’agissait plutôt de réputation indirecte. La suspicion de débauche qui touchait certaines femmes était d’autant plus pesante lorsqu’elles habitaient des rues où se concentrait la prostitution (quartier Perrache, rue Moncey, etc.). Bien qu’ayant arrêté de se prostituer depuis plus de deux ans et vivant de son état de couturière, Anne Trusset entretint involontairement le doute en habitant chez Dumond, logeur dont les garnis étaient occupés par des gourgandines 1204 . Descendre dans un garni malfamé classait très vite la nouvelle venue, telle la fille Gangloff logeant chez les époux Favre qui jouissaient d’une réputation exécrable (‘«’ ‘ on dit que le mari est de la police’ 1205  »).

Beaucoup plus important était le repérage du nombre de logements, de la fréquence des déménagements et de la durée de sédentarisation. Dans la grande ville du XIXe siècle, les classes populaires changeaient fréquemment de domicile mais cela ne signifie en aucun cas qu’elles déménageaient tous les mois. A trop connaître une forte mobilité résidentielle, une femme finissait par être déconsidérée – d’autant plus que le voisinage savait généralement quelles avaient été ses dernières adresses. Dans le cas de filles célibataires, d’aucuns pouvaient imaginer des prostituées clandestines fuyant le service des mœurs. A reprendre notre corpus et à décompter le nombre de logements récents relevés par les policiers, il apparaît que la plupart en avaient connu un ou deux, voire trois, quelques-unes quatre, très peu davantage. Ces données présentent peu d’intérêt si elles ne sont pas mises en rapport avec les durées d’occupation. Pour 56 logements pour lesquels celles-ci nous sont connues, plus des 3/4 avaient habité depuis moins de six mois (dont 16% depuis moins d’un mois), 9% depuis six à douze mois et 14,5% depuis plus d’un an. Ces résultats sont à tempérer puisque sont pris en compte les logements « actuels » dont on ignore la durée totale d’occupation. Malgré tout, les tendances qui se dégagent sont suffisamment tranchées. Une minorité de femmes – dont le voisinage avait eu tout le temps de se faire une opinion – était ancrée dans un quartier depuis plus de six mois, tandis qu’une majorité était soit restée peu de temps au même endroit soit s’était installée récemment. Il y aurait eu une difficulté d’intégration pour ces dernières qui, comme Marie Delaye et ses six logements en cinq mois 1206 , passaient d’un garni à l’autre sans avoir eu le temps de connaître leurs voisins ni de se faire réellement connaître d’eux.

Notes
1204.

Id., Enquête Anne Trusset, 30/01/1867.

1205.

Id., Enquête Marie Elisabeth Gangloff, 04/04/1870.

1206.

Id., Enquête Marie Pauline Antoinette Delaye, 25/10/1869.