Les dérèglements de la morale

Parallèlement au statut matrimonial, d’autres critères moraux entraient en jeu. Si l’amour immodéré de la boisson n’était pas encore tout à fait abaissé au rang de tare, les voisins attachaient en revanche énormément d’importance à l’apparence. La somme des aspects de chacun déterminait aussi la réputation d’une maison, d’une rue ou d’un quartier. La toilette d’une femme faisait l’objet, de la part de ses voisins, d’une minutieuse observation. Porter une toilette simple, voire miséreuse, faisait pencher favorablement la balance. Des parures tapageuses, inhabituelles pour les classes laborieuses, faisaient de celles qui les portaient des demi-mondaines. La qualité des habits était comparée au niveau de vie estimé et les doutes s’installaient lorsque la pauvre lingère se vêtait comme la grande bourgeoise. ‘«’ ‘ La veuve Chardonnet se fait remarquer par l’excentricité de sa toilette ; ses allures, sa mise, tout chez elle est un spectacle scandaleux, mais personne dans le voisinage […] ne peut dire qu’elle a accosté des hommes pour les exciter à la débauche’ 1211  ». On ne pouvait tout dire, mais on ne se privait guère de penser qu’Unetelle devait être de mœurs légères, si ce n’était simplement folle. Il n’y avait pas toujours de place pour la nuance dans la vision de la femme, mais il serait faux de conclure à l’absence de moyen terme entre la sainte et la putain. Les deux images se confondaient. Le voisinage voyait une femme sous les traits d’une lorette qui découchait souvent, ce qui ne l’empêchait pas de constater qu’elle ne raccrochait pas, que son fils était bien élevé et qu’il avait fait sa communion. Les critères s’ajoutaient, se retranchaient, s’annulaient et au bout du compte des traits moraux ressortaient, quitte à faire pencher un jugement en faisant appel à des intrigues imaginaires si besoin était 1212 .

Notes
1211.

Id., Enquête Marie Chardonnet, 08/1868.

1212.

Id., Enquête Marie Givre, 06/03/1869.