1 - La violence, l’arbitrage et l’arrangement

Par un effet de source bien connu, le chercheur est amené à privilégier l’étude de la violence. Il se trompe peut-être. Les sociologues lui ont montré que les règlements entrepris dans le cadre de réseaux entrelacés (qui correspondent à nos réseaux populaires) privilégient, par nature, la voie de la négociation davantage que celle du conflit 1231 . Malgré tout, on peut nuancer cela par trois arguments : le modèle opposant réseaux segmentés (propices au conflit) et entremêlés (propices à la conciliation) est trop théorique, donc rigide et susceptible d’être modulé dans la réalité ; l’historien travaille sur les archives qu’il est capable de retrouver ; il doit s’atteler à la violence car elle est une donnée intangible et une réalité de la gestion sociale du différend. Et ce dernier point est fondamental : les Lyonnais réglaient nombre de leurs problèmes par la violence. Ainsi, la femme Colomban souffleta la femme Paillet parce qu’elle voulait s’opposer à ce qu’elle disposât des immondices au devant de sa porte 1232 . La violence n’était pas toujours immédiate comme dans ce dernier cas, mais, et c’est le plus important, était acceptée par tous. Pour cela, nous pensons qu’elle faisait réellement partie intégrante du système d’autorégulation sociale. Nous ne la retrouvons pas uniquement dans les dossiers d’Assises, bien au contraire. Elle est essentiellement présente dans les mains-courantes des commissaires de police et s’offre comme une réalité quotidienne – peut-être pas en tant que choix prioritaire du règlement des différends mais comme un choix suffisamment récurrent pour qu’on en souligne toute l’importance. Echanger quelques coups suffisait donc à aplanir un différend qu’on réglait entre soi, sans aide extérieure et sans vouloir porter préjudice à autrui autrement que par ses poings. La réaction d’un ouvrier s’étant battu avec un soldat résumait cet état d’esprit : ‘«’ ‘ [Il a] déclaré formellement ne pas vouloir porter plainte pour les coups qu’il avait reçus, d’abord parce qu’il croyait les avoir suffisamment rendu et ensuite parce qu’il ne lui convenait pas d’être la cause d’une condamnation qui pourrait atteindre ce militaire’ 1233  ». Régler un conflit par la violence était le fait des femmes comme des hommes. Dans le cas des couples, le mari laissait son épouse se charger de l’affaire s’il s’agissait d’un conflit avec une voisine. L’autorisation était tacite, elle ne la sollicitait pas à chaque fois mais faisait partie des règles régissant la communauté.

Notes
1231.

Alain DEGENNE, Michel FORSE, Les réseaux…, op. cit., pp. 229-240.

1232.

ADR, UCor 12, Jugement du Tribunal correctionnel de Lyon, Affaire Paillet, 22/05/1821.

1233.

ADR, 4 M 494, Lettre du commissaire de police des Chartreux au secrétaire général pour la police, 22/02/1867.