Des utilisations différenciées ?

Des trois formes de règlement d’un différend (la violence, la plainte et l’arrangement), certaines étaient-elles parfois préférées à d’autres ? Question en partie insoluble qui demanderait une telle finesse d’analyse qu’il faudrait pouvoir travailler sur des dizaines de milliers d’affaires. Quelques remarques malgré tout. Le décalage concernant la répartition par âge constaté entre les deux bases de données – Actes judiciaires et Tribunal correctionnel 1269 – peut s’expliquer par la nature des deux sources. Les actes judiciaires ne concernaient que des individus arrêtés alors qu’on se portait volontairement devant le Tribunal correctionnel. Y aurait-il alors eu des différences d’âge dans le règlement d’un conflit ? La jeunesse utilisait peut-être plus volontiers la violence alors que, à partir de 40 ans, le recours au tribunal était plus fréquent. A reprendre les affaires portées devant le Tribunal correctionnel, on suppose que l’opposition entre différentes générations trouvait peut-être plus difficilement une résolution classique – type arrangement ou violence – et entraînait les parties opposées à avoir recours à la justice. Quant au rapport du domicile des agresseurs et des agressés (base de données Tribunal correctionnel), n’indique-t-il pas que la querelle se réglait plus facilement lorsque les deux protagonistes étaient voisins ? Entre « étrangers », le conflit trouvait moins facilement une issue « intra populaire » et la plainte serait devenue indispensable. Parce que la ville se développait et s’agrandissait, parce que les rapports entre les gens dépassaient le cadre étroit du voisinage, les Lyonnais avaient de plus en plus tendance à régler d’emblée leurs soucis grâce à l’autorité, sans passer par la case arrangement. Mais tout cela n’est qu’hypothèse.

Pour terminer, avouons que nous sommes incapable de prouver que les hommes et les femmes possédaient des habitudes divergentes dans leurs façons de mettre fin à un conflit ; nous serions même prêt à parier le contraire ; au moins est-il certain qu’elles participaient à toutes les formes de règlement 1270 . On peut cependant s’interroger sur les réactions masculines vis-à-vis des femmes avec lesquelles il leur arrivait d’entrer en conflit. Les voies de l’arrangement étaient alors peut-être différentes. Si on relit l’histoire de cet homme se faisant voler son vin par une voisine, une remarque intéressante est à relever : ‘«’ ‘ […] si vous étiez un homme, j’agirai différemment avec vous, mais je vais rendre compte de votre conduite et me plaindre à qui de droit’ 1271  ». Face à un voleur, il aurait réglé son affaire seul à seul avec la violence comme forme d’arrangement. Confronté à une voleuse, il préféra recourir à la police avant d’accepter l’arrangement, certainement parce que celle-là était sa voisine et qu’il s’agissait d’un vol – mais dans d’autres cas, la violence était certainement préférée, sans distinction de sexe. En revanche, on ne peut exclure une lente différenciation sociale : les maîtres artisans et, surtout, les commerçants et marchands les plus opulents auraient de plus en plus privilégié le recours à la justice et, par conséquent, entraîné le déséquilibre du système d’autorégulation populaire (rappelons qu’ils formaient le socle stable du voisinage).

Après avoir expliqué de manière globale les différentes possibilités permettant de mettre fin à un conflit, il serait intéressant de changer d’optique et de privilégier une étude de cas. L’exemple de la femme battue autorise ce changement. En effet, les concepts clés de cette partie – mixité, intériorisation des rôles, honneur, surveillance et arbitrage – se retrouvent, bruts, au cœur du mal vivre domestique.

Notes
1269.

Pour la présentation des deux bases de données, voir chapitre X et annexe n° 1.

1270.

Les femmes avaient apprivoisé le recours à la justice et avaient intégré le judiciaire à leur panoplie au cours du XVIIIe siècle. Cf. Amaury POUZET, Les femmes…, op. cit., f° 100 ; Arlette FARGE, « La violence… », art. cit., p. 104. Voyez ce que Montesquieu faisait écrire à son voyageur à ce propos dans ses Lettres Persanes, L’Aventurier, Paris, 2001 (première édition 1721), Lettre LXXXVI, pp. 124-125.

1271.

AML, I3 28, Acte judiciaire du commissaire de police de Perrache, 19/04/1854.