Autorégulation et rôle du voisinage

Pour l’épouse poursuivie par la mauvaise conduite de son mari, les solutions étaient peu nombreuses : fuir (le plus souvent chez ses parents), demander de l’aide au voisinage ou à l’autorité ou encore attaquer. Ses attaques se portaient naturellement peu vers son mari avec lequel elle ne pouvait indéfiniment supporter un bras de fer physique. Si son époux la trompait, elle s’en prenait plus volontiers à sa rivale. Lorsque mari et femme souhaitaient conjointement régulariser leur situation, la situation se simplifiait car l’affrontement en public offrait une possibilité de règlement. On réglait ses comptes devant témoins, dans la rue, pour en quelque sorte remettre son sort entre les mains de la communauté. Ainsi la femme pouvait-elle avoir des témoins pour justifier de la violence dont elle était victime, tandis que son mari cherchait à affirmer publiquement son droit sur celle qui était encore son épouse. Vautrin fut surpris avec sa maîtresse par celle avec laquelle il vivait en concubinage depuis cinq ans ; le couple sortit dans la rue, afin de porter sa querelle devant tous, la femme pour prouver la traîtrise de son amant, l’homme pour montrer au grand jour qu’il n’avait plus rien à faire avec son ex compagne 1285 . Dans les oppositions publiques hommes/femmes, la défense ou l’attaque des uns et des autres avait pour base la sexualité. Une femme était battue par un homme au beau milieu de la rue ; devant témoins, celui-ci décrédibilisait la réputation de la fille pour asseoir sa défense tandis qu’elle assurait n’avoir jamais eu de relations honteuses avec son agresseur. Il était toujours question de sexualité mais de sexualité féminine uniquement.

Le rôle du voisinage était donc important : qui allait-il soutenir ? qui allait-il exclure ? allait-il seulement prendre position ? Il n’est pas évident que la femme battue eût le beau rôle car remettre en cause la puissance masculine pouvait être compris comme un refus des normes collectives ; des voisines conseillaient la patience aux désespérées pour éviter un scandale qui entacherait le voisinage. Même parmi les classes populaires, le soupçon pesait plus facilement sur les femmes. Le coup de sang nocturne de l’époux Guillermet fut presque la meilleure chose qui pouvait arriver à son épouse. Effectivement, il mit tout un voisinage en émoi, fit se lever par deux fois son logeur qui était également son maître, bref, il devint, par sa seule faute, persona non grata dans son quartier. Même si les voisins avaient certainement été davantage gênés par le tapage nocturne que par les maltraitances, ils ne jetèrent pas l’opprobre sur la femme – bien au contraire, puisque le logeur la prit, ainsi que son père, sous sa protection. Inversement, l’épouse qui était battue chez elle par son mari, sans que ce dernier tombât dans une folie susceptible de déranger son entourage, parvenait plus difficilement à faire comprendre son état. N’exagérons en rien le cynisme du voisinage ; si l’affaire était grave, il savait se mobiliser. Quand une femme s’évada de la chambre où son mari la retenait prisonnière, ses voisins la recueillirent spontanément. Là encore, cette prise de position fut facilitée par le fait que le mari jouissait d’une réputation détestable. Le soutien des voisins fut primordial pour l’épouse, ceux-là concluant qu’il ‘«’ ‘ […] est physiquement et moralement impossible que Galamin et son épouse puissent désormais vivre ensemble […]’ ‘ 1286 ’ ‘ ’».

Dans la plupart des cas, hors cet exemple extrême, la réaction des témoins n’était assurée ni pour l’une ni pour l’autre. En effet, chacun évitait de se mêler des affaires de couple 1287 . Dans une rue, un homme frappa violemment sa femme de nombreux coups de pied et coups de poing car celle-ci avait obtenu la séparation après avoir découvert l’infidélité de son époux ; l’ami accompagnant l’agresseur lui fit des objections verbales et ‘«’ ‘ chercha à l’empêcher qu’il ne continuât à la frapper’ 1288  ». La mollesse de son intervention s’explique par cette gêne à prendre part à ce type d’affaire : la communauté n’était pas menacée et l’épouse appartenait à son mari. La réaction des témoins conforta cette idée de gêne. Ce même ami alla même jusqu’à nier l’existence de la moindre altercation ; quant au pharmacien qui, selon la femme, se tenait sur la pas de son échoppe au moment des faits, il déclara n’avoir rien vu. L’amitié et les solidarités masculines avaient certainement joué un rôle prépondérant dans ces réactions. Si des femmes avaient été présentes, même en minorité, les réactions auraient-elles été différentes ? Possible, d’autant que, généralement, une femme battue en pleine rue était secourue par tous ceux que ne gênait plus la barrière du domicile privé. Dans l’exemple précédent, l’agression eut lieu devant l’entrée d’un cabaret, à la limite du dedans et du dehors, ce qui explique l’absence de réactions.

Notes
1285.

AML, I1 142, Rapport de la surveillance de nuit, 28-29/03/1838.

1286.

ADR, 4 M 177, Rapport du commissaire de police de la Métropole au lieutenant général de police, 11/07/1818.

1287.

Certains historiens ont même pu remarquer que, lorsque des disputes sérieuses éclataient entre un mari et sa femme, des voisins s’éloignaient afin de ne pas être témoins de la scène. Cf. William M. REDDY, The Invisible Code. Honor and Sentiment in Postrevolutionary France, 1814-1848, Berkeley and Los Angeles, University of California Press, 1997, pp. 105-106.

1288.

ADR, 4 M 199, Rapport de police judiciaire, 20/02/1836.