Quatrième partie
Rencontres

Les trois premières parties de ce travail ont été consacrées aux représentations et à l’étude de deux systèmes de gestion du social. Il est temps d’aborder les rencontres entre les discours et les pratiques du pouvoir d’une part et l’imaginaire et l’autorégulation populaires, d’autre part. Analyser les rapports noués entre les uns et les autres revient à mettre les a priori et les systèmes à l’épreuve du réel. Le pouvoir et le peuple possédaient chacun leur propre conception de la société mais ils ne vivaient pas dans deux mondes séparés, d’autant que l’ambitieux projet social des élites englobait l’ensemble du pays. Les rencontres étaient donc inévitables et imaginer que les deux systèmes puissent s’ignorer est totalement surréaliste. Ces rencontres quotidiennes seront évoquées au travers d’une triple approche : les rapports peuple/police, le face-à-face judiciaire et la question des appartenances. Avant de saisir ces contacts, il est nécessaire de comparer le fonctionnement de deux manières d’appréhender la société urbaine. Qu’est-ce qui différencie ou rapproche le quadrillage de l’autorégulation populaire ? Pour ce faire, nous interrogerons le concept fatigué de marginalité et essaierons de cibler les différents rapports aux normes possibles.

L’approche envisagée se veut la moins possible tributaire des deux schémas explicatifs traditionnels et insuffisants : la lutte des classes et l’acculturation. Le premier est lacunaire tant il se base sur une opposition systématique entre dominants et dominés ; aveuglé par un raisonnement politique et économique exclusif basé sur les masses, il se prive d’une compréhension de l’individu. Le second empêche toute réflexion en réduisant le XIXe siècle à une mécanique naïve nivelant les comportements. La réalité paraît avoir été un peu plus complexe – certains indices l’ont déjà laissé deviner : cloisonnement poreux entre les manières de penser, utilisations différenciées de la justice, etc. Il ne faut pas pour autant rejeter les anciennes explications mais les intégrer à une analyse plus vaste. Les oppositions représentaient une figure importante de la rencontre – et pas uniquement lors des flambées révolutionnaires – et, de même, les phénomènes acculturants ne peuvent être négligés ; mais il faut aussi s’attarder sur les influences réciproques, les convergences, les détournements et, globalement, les différentes stratégies mêlant ces diverses approches. Chaque acteur de l’aventure urbaine ne jouait pas un seul rôle ad vitam aeternam mais variait ses compositions au gré de la multiplicité des appartenances (familiales, urbaines, nationales, politiques…).