Localisation des maisons

Ce ne sont pas les documents en notre possession qui nous autoriseraient à rédiger une histoire des bordels des faubourgs : les registres n’en mentionnent ni rive gauche du Rhône ni à Vaise, et en indiquent seulement un à La Croix Rousse. Travaillant sur la première moitié du XIXe siècle, il est normal que les registres lyonnais donnent peu de renseignements relatifs aux marges de la ville. Mais même les archives des faubourgs restent muettes sur la question. Laissons-les de côté, non sans avoir fait remarquer à regret qu’il devait se trouver bon nombre de maisons de tolérance, et encore plus d’insoumises, dans ces périphéries urbaines 1379 . Cependant, jusqu’à leur annexion en 1852, la prostitution se concentrait largement dans le centre ville 1380 . Mais pas n’importe où : ni rive droite de la Saône où quatre bordels semblent avoir suffi aux hommes de loi et aux hommes de Dieu, ni au sud de la Presqu’île puisque aucune maison n’a été répertoriée entre Bellecour et Perrache. La prostitution régulière – car il n’est pas question des débits clandestins – se cantonnait entre la place Bellecour et les premières pentes de la colline de La Croix Rousse.

Autour des Célestins et de l’Hôtel Dieu, on dénombrait pas moins de 50 maisons. Etonnamment, la place des Célestins n’en comptait pas beaucoup, au contraire des petites rues adjacentes qui ne désemplissaient pas de bordels avec une nette attirance pour le côté Saône ; il faut dire que, côté Rhône, l’Hôtel Dieu occupait une place importante – ce que la voluptueuse rue Bourgchanin ne pouvait faire oublier. Rue du Villard (huit bordels), mais aussi rues d’Amboise, des Archers et Confort, partout des maisons s’étaient établies ; mais nulle part elles ne furent aussi nombreuses que dans la petite et tortueuse rue des Templiers – qui pourrait bien avoir été le lieu emblématique de la prostitution lyonnaise. Pas moins de quinze bordels s’y entassaient dans seulement deux immeubles, trois au n° 2 et douze au n° 4 ! Concentration absolue de maisons tenues par des tenancières venant de toute la France et même de l’étranger ; on notera cependant un regroupement de maquerelles originaires du Centre de la France – quatre étant natives du Puy-de-Dôme (de Thiers et de Courpière), une cinquième venant de Brioude (Haute-Loire). De la place des Jacobins à la place Saint Nizier, s’étendait le quartier des Cordeliers, riche de 50 maisons. Là encore – et suivant une implantation identique à celle des débits et des garnis – les bordels touchaient quasiment chaque rue avec des concentrations en certains endroits : rues Thomassin et Dubois (cinq maisons chacune), rues Ferrandière et Mercière (respectivement huit et neuf maisons). Enfin, autour d’un vaste espace ayant pour centre la place des Terreaux, un grand nombre de bordels s’étaient implantés – 57 au total. Ils se répartissaient sur trois zones principales : de l’église Saint Nizier aux Terreaux ; autour de la place du Griffon (côté Rhône) ; dans le secteur de la place Sathonay (côté Saône). La première de ces zones était la plus fournie, autour des rues Longue (sept maisons), Neuve (sept également), de l’Arbre Sec et Lanterne (six chacune). Durant les cinq premières décennies du siècle, les bordels ne s’implantaient pas uniquement dans les petites ruelles sombres et étroites du centre mais colonisaient sans vergogne les espaces les plus dégagés (rue Grenette, place des Terreaux, rue Saint Dominique, etc.).

Carte n° 12 : Localisation des maisons de tolérance dans le centre ville de Lyon
Carte n° 12 : Localisation des maisons de tolérance dans le centre ville de Lyon (1810-1853)

Après 1852, certains aménagements s’opérèrent dans la géographie prostitutionnelle. L’explosion des périphéries entraîna inévitablement l’ouverture de plusieurs maisons. Mais déjà cette forme de prostitution marquait le pas 1381 , remplacée par les brasseries à femmes et surtout par une prostitution sauvage fleurissant sur la misère faubourienne. La Guillotière fut le principal théâtre de cette évolution, bien que le rôle de Vaise ne soit pas à négliger. Au 1er janvier 1860, un commissaire de police dénombra 34 maisons (régulières ou non) rive gauche du Rhône dont 22 du n° 103 au n° 167 de la rue Monsieur ; on comptait également six établissements rue Chaponay et quatre rue Dunoir 1382 . La Croix Rousse resta en retrait avec une prostitution restreinte à la rue du Mail et ses abords ainsi qu’aux berges du Rhône. L’histoire de cette redistribution spatiale correspond alors au projet de création d’hétérotopies présenté ailleurs 1383 . Les marges de la ville accueillaient moins de maisons régulières que le centre mais abritaient une très importante prostitution officieuse tolérée par le pouvoir et qui faisait notamment de La Guillotière le premier lieu de concentration prostitutionnelle lyonnais. L’importance croissante des faubourgs ne doit pas éclipser un centre ville qui resta, encore dans la seconde moitié du siècle, l’espace officiel de concentration des filles de joie. Sur la Presqu’île aussi la prostitution gagna du terrain en direction de Perrache – sous l’influence du chemin de fer et de la présence de militaires. Les anciens espaces prostitutionnels – rues Luiserne, des Templiers, de l’Arbre Sec – n’avaient pas abandonné leurs anciennes activités. En 1870, sur les 32 maisons lyonnaises, la moitié se trouvaient sur la Presqu’île contre seulement huit rive gauche, quatre à La Croix Rousse et autant rive droite de la Saône 1384 .

Notes
1379.

D’après un document de 1878, « Depuis une époque très reculée, le quartier de La Guillotière possédait seul une partie de la prostitution réglementée de Lyon, soit comme filles isolées, soit comme maisons de tolérance ». Et de citer une moyenne de 20 maisons établies dans ce faubourg. Cf. ADR, 5 M 18, Lettre de l’inspecteur du service des mœurs au secrétaire général pour la police, 06/02/1878. Un travail de maîtrise avance les estimations suivantes : 110 à 140 filles régulières pour 200 à 300 insoumises (Valérie REY-ROBERT, La prostitution…, op. cit., f° 41).

1380.

Voir ci-joint carte n° 6.

1381.

De 1856 à 1876, le nombre de maisons se maintint aux alentours de 35 ; en 1886, il y en avait 26 et plus que la moitié en 1896. Leur baisse avait été plus rapide puisque, sous le Second Empire, à leur stagnation répondait une croissance de la population lyonnaise. Ainsi, en 1856, on comptait une maison régulière pour 6 917 habitants contre une pour 9 794 en 1876. Cf. ADR, 5 M 19, Statistiques des maisons de tolérance, sd [1902 ?].

1382.

ADR, 4 M 508 bis, Rapport du commissaire spécial de la sûreté [au préfet ?], 16/07/1860.

1383.

Cf. deuxième partie, chapitre V.

1384.

ADR, 4 M 508 bis, Etat des maisons en avril 1870.