Pour 540 fiches, il est possible de connaître au moins une durée complète d’un séjour en maison ou à domicile. En tout, nous disposons de 772 séjours complets. De manière grossière, on peut calculer la moyenne générale de ces séjours qui s’élevait à 64,27 jours – soit environ deux mois. Une durée exceptionnelle de neuf ans dans le même bordel fausse un peu ces résultats – si on ne la prend pas en compte, on obtient une durée moyenne de 60,16 jours. Ce résultat global masque de larges disparités d’une fille à l’autre, voire à l’intérieur d’un même parcours. Le tableau suivant répartit la moyenne des séjours calculée pour chaque fiche :
Durée moyenne | Nombre de parcours | % |
≤ 7 jours | 55 | 10 |
]7-15 jours] | 72 | 13,5 |
]15-21 jours] | 44 | 8 |
]21-30 jours] | 74 | 13,5 |
]30-60 jours] | 134 | 25 |
]60-90 jours] | 53 | 10 |
]90-120 jours] | 43 | 8 |
]120-150 jours] | 25 | 4,5 |
]150-180 jours] | 10 | 2 |
]180-210 jours] | 10 | 2 |
]210-240 jours] | 3 | 0,5 |
]240-270 jours] | 5 | 1 |
]270-300 jours] | 3 | 0,5 |
]300-330 jours] | - | - |
]330-360 jours] | 2 | 0,25 |
> 360 jours | 7 | 1,25 |
La première constatation est simple : une moyenne générale de deux mois est très peu élevée et est la marque d’une grande instabilité professionnelle ; les filles devaient changer fréquemment de maison et la ventilation des moyennes est réellement significative. La moyenne des séjours de la plupart des parcours était comprise entre un jour et un mois (45%) – et tout de même 10% restaient moins d’une semaine au même endroit. Voilà qui abonde dans le sens d’une importante mobilité. Le quart ne passait pas plus de deux à trois mois dans une maison. Au-delà, on note une forte décroissance, bien qu’encore 22,5% restaient entre trois et cinq mois. Seules 7,5% s’installaient plus de cinq mois et 1,25% plus d’un an. Ces exceptions ne démentent pas la brièveté des passages : en moyenne sept filles sur dix ne s’attardaient pas plus de deux mois dans un bordel – et souvent beaucoup moins. Généralement, nous ne possédons qu’un parcours complet par fille. Il y a cependant des exceptions. Dans ces cas, on se rend compte de la variation des durées au sein d’un même parcours. 5, 6, 7, 20, 29, 30, 45, 118 jours : Mariette Chaîne passait peu de temps dans chaque maison mais malgré tout restait entre cinq jours et presque quatre mois. Marie Charles resta quatre jours rue Ferrandière chez Bourgeon, avant d’y revenir, près de deux ans plus tard, pour y rester onze mois. Les écarts, ici exceptionnels, montrent bien les différences existantes ; les filles restaient quelques jours ici, quelques semaines là, à nouveau quelques jours ailleurs puis, parfois, quelques mois dans telle autre maison 1386 .
Peut-on expliquer la brièveté des séjours par des facteurs particuliers ? L’origine géographique n’apparaît pas comme une raison plausible ; la durée moyenne du séjour des Lyonnaises était supérieure d’une quinzaine de jours à la moyenne générale ; leur tendance à s’inscrire un peu plus longtemps dans une maison n’est pas confirmée dès lors qu’on considère celles qui restèrent plus de 150 jours au même endroit – les Lyonnaises, ni même les natives du Rhône, n’étaient alors surreprésentées. D’une manière identique, la répartition par classes indique des variations légères. Les séjours des filles en maison étaient plus courts que ceux des filles isolées et/ou clandestines, contrairement à ce qu’on aurait pu penser. Les maisons auraient donc davantage cherché le renouvellement que la stabilité. Enfin, il est patent que l’instabilité était liée à la jeunesse. Un séjour moyen durait environ 46 jours chez les 20 ans et moins, 58 jours chez les 21-30 ans et 100 jours chez les plus de 30 ans (sans prendre en compte celle qui resta neuf ans). Les fins de carrière étaient moins mouvementées chez les plus âgées qui avaient tout intérêt à s’installer durablement comme tenancières ou adjointes d’une mère maquerelle.
Une étude portant sur la prostitution lyonnaise des années 1852-1939 aboutit aux mêmes conclusions : les filles publiques restaient au maximum de six à neuf mois dans une maison et quelques jours au minimum. Cf. Cécile TOURNEUX, Prostitution et prostituées à Lyon (1852-1939), Mémoire de maîtrise dirigé par M. Yves Lequin, Lyon, Université Lumière Lyon 2, 1994, f° 54.