L’oppression policière

Il ne fait aucun doute que les fonctionnaires de police appliquaient à la lettre les directives et qu’ainsi le zèle dont certains faisaient preuve se muait en oppression pour ceux qui le subissaient. La population se plaignait de brutalités dont elle aurait été la victime. Le rapport avec la population était au cœur du travail policier et pourtant les administrés dénonçaient fréquemment la dureté de caractère des agents et leurs comportements cavaliers. Une accoucheuse autorisée se plaignit au préfet du caractère colérique et emporté du commissaire de son quartier qui, recherchant une femme enceinte, fit une entrée fracassante chez elle, ce qui choqua plusieurs clientes et aggrava le cas de certaines 1478 . Une plainte collective de débitants lyonnais, datant des années 1840, utilisait un vocabulaire ne laissant planer aucun doute. Il était question de la « méchanceté » des agents, de leur « pouvoir » dont ils abuseraient, de leur « sévérité » leur faisant outrepasser leurs devoirs. Etait dénoncée leur « tyrannie » envers la population au sujet de « petites choses » : « il leur faut des procès-verbaux [alors] l’innocent est coupable [et] conduit en prison » 1479 . La question de l’abus de pouvoir revenait souvent sous la plume des plaignants ; il en ressort l’impression tenace que chacun pensait pouvoir être en permanence l’objet du mécontentement des hommes du pouvoir. Cette impression était notamment très forte chez les logeurs, débitants, petits commerçants ainsi que chez les prostituées. Une mésentente avec un agent pouvait être la cause de tracasseries administratives. Un tenancier d’hôtel garni dut se séparer d’une de ses employées mal notées auprès du service des mœurs ‘«’ ‘ […] pour éviter de déplaire à un homme qui [faisait] abus de l’autorité qu’il [tenait] [du secrétaire général pour la police] et qui [pouvait] par des rapports lui nuire dans [l’] esprit [du secrétaire général’] 1480  ».

Par-dessus tout, les agents de police se permettaient des voies de fait lorsqu’ils étaient provoqués. Nous verrons par la suite qu’ils devaient effectivement essuyer nombre d’insultes et d’agressions physiques – ce qui pouvait les mener à un acte de vengeance. On notera d’ores et déjà que le policier, recruté parmi les gens du peuple, avait donc tendance à régler un conflit selon les normes populaires, oubliant de ce fait qu’il portait l’uniforme du gardien de l’ordre public. Lorsque l’agent Lambert fut pris à partie par un nommé Picard le traitant de mouchard, il se fit justice en frappant l’impétrant et le faisant arrêter ; un autre agent l’aida dans sa besogne en bastonnant son adversaire. Ce type d’affaires se retrouve en grand nombre dans les papiers de la police et la lettre du procureur du roi rapportant l’incident précédent confirme cette impression : ‘«’ ‘ […] ce n’est pas d’ailleurs la 1ère fois qu’il m’arrive des plaintes contre les agents de police, j’en reçois assez souvent […]’ ‘ 1481 ’ ‘ ’». Sous la Restauration, un individu fut assommé pour avoir crié « Vive l’Empereur ». Mené à la cave de l’hôtel de ville sur une charrette, il recevait, à chaque pas que le cheval faisait, des coups de bâtons ; il finit par mourir, vraisemblablement des suites de ses blessures 1482 . Les violences policières visaient principalement les marginaux – notamment les filles publiques avec lesquelles les agents entretenaient des rapports pour le moins ambigus. Il leur était demandé une surveillance extrêmement rapprochée : ‘«’ ‘ Un agent de police doit connaître toutes les femmes publiques de son arrondissement […]. Il doit exercer à leur égard une surveillance telle qu’aucune d’elle ne puisse se soustraire aux visites. Aucune de ces femmes ne peut changer de demeure ni quitter la ville sans que l’autorité en soit instruite […] ; l’agent de police doit s’assurer par lui-même de la vérité et rendre un compte précis de la mutation et rechercher dans tous les quartiers, sans distinction, celles de ces femmes qui se sont soustraites à la visite dans l’arrondissement où il exerce’ 1483  ». L’autorité se déchargeait entièrement sur ses hommes pour assurer la surveillance des filles de mauvaise vie et nous avons retrouvé plusieurs exemples d’agents capables de reconnaître parfaitement certaines d’entre elles.

D’une certaine manière, un sentiment de supériorité, si ce n’est d’appartenance, animait certains agents – dont on connaît par ailleurs l’habitude de fréquenter les filles de petite vertu. N’a-t-on pas vu un agent quitter le service en 1875 pour ouvrir une maison de tolérance à Saint-Étienne 1484  ? Dans les années 1870, quelques agents attirèrent sur eux l’attention de leurs supérieurs pour avoir effectué des arrestations arbitraires accompagnées d’insultes et de voies de fait. Stéphanie Brun fut battue et injuriée par deux agents totalement ivres auxquels elle refusait de payer à boire. Une autre, intimidée par un représentant de l’ordre qui pouvait la faire enfermer à tout moment, n’osait pas refuser et offrait fréquemment la goutte à l’agent Catin [sic !] 1485 .

Notes
1478.

ADR, 4 M 40, Lettre de la femme Perret au préfet du Rhône, sd [1825 ?].

1479.

ADR, 4 M 378, Plaintes des débitants de La Guillotière au ministre de l’Intérieur, sd [années 1840].

1480.

AML, 1122 WP 1, Lettre de la femme Cuisinier au secrétaire général pour la police, 02/04/1863.

1481.

ADR, 4 M 1, Copie de la lettre du Procureur du roi au lieutenant de police, 19/11/1820.

1482.

ADR, 4 M 27, Agents de police, Notice individuelle de Claude Talichet, sa, 20/03/1818.

1483.

AML, I1 84, Lettre du maire de Lyon au commissaire de police de la Halle aux Blés, 22/01/1822.

1484.

ADR, 4 M 379, Lettre du commissaire spécial de la sûreté au secrétaire général pour la police, 23/01/1878.

1485.

ADR, 4 M 508, Résumé des dépositions faites par les filles soumises écrouées administrativement à la maison de correction de Lyon, Direction des prisons du Rhône, sd [années 1870].