Une nécessaire confiance mutuelle

La confiance entre le commissaire et ses administrés est une notion clef pour comprendre leur relation. Pour le fonctionnaire, cela demandait un travail d’équilibriste entre répression et pacification. En outre, la confiance ne s’obtenait que s’il était respecté en tant qu’homme et en tant que fonctionnaire. Dans cette optique, il était toujours très attentif à la réputation de la police, évitant autant que possible les décrédibilisantes prises de becs publiques entre forces de l’ordre. Chaque commissaire prenait également à cœur son rôle dans les divers tribunaux de la ville, faisant attention à être respecté et respectable. En 1818, ils se plaignirent tous de ce que les avocats défendant les individus arrêtés par eux les ridiculisaient ouvertement en pleine audience 1556  ; en 1831, ils s’insurgèrent contre le fait ‘«’ ‘ […] qu’en plein tribunal on [vînt] assimiler Messieurs les commissaires à des gendarmes, en les privant du titre de magistrat’ ‘ 1557 ’ ‘ ’». Coquetteries d’hommes susceptibles ? Certes non : les commissaires savaient qu’il leur fallait paraître en tous lieux comme des fonctionnaires sérieux dont la parole était écoutée ; c’était là une condition essentielle s’ils souhaitaient obtenir de leurs administrés respect et confiance. En ce sens, le fonctionnaire en charge du quartier de l’hôtel de ville en 1823 avait réussi à s’imposer, ainsi que le prouve l’épisode suivant. Confronté à une foule agitée, il s’entoura de sept militaires et demanda à tous de se retirer, sans succès. Suite à cet échec, il arrêta celui qui lui paraissait être le meneur, le fit mener en prison et n’eut pas recours à la force armée : ‘«’ ‘ […] je déclarai hautement au public que quiconque ne se retirerait pas de suite je l’arrêterais et le ferais punir selon toute la rigueur des lois. On se retira promptement et le calme se rétablit’ ‘ 1558 ’ ‘ ».’

Les Lyonnais appréciaient les commissaires qui avaient de l’assurance, qui savaient parler en public et qui possédaient de solides connaissances : il fallait qu’ils fissent contrepoids à la grossièreté des agents et qu’ils pussent en imposer au peuple. Leur rôle paternel était accepté s’ils parvenaient à susciter chez leurs administrés l’admiration qu’ils rendraient à un père. Ce que ne parvint pas à faire un certain Patreday nommé, sous le 1er Empire, commissaire à La Croix Rousse après avoir été agent de police ; il était ‘«’ ‘ sans aucune instruction ni délicatesse, ce qui le déconsidér[ait]’ ‘ 1559 ’ ‘ ’». En revanche, on a pu retrouver des témoignages de cette confiance, comme dans cette lettre d’habitants du quartier Saint Jean s’opposant à la mutation de leur commissaire : ‘«’ ‘ Ils fondent leur demande sur la confiance qu’ils ont en lui et qu’il a si justement méritée par son zèle consciencieux et sa conduite privée. Ils ont également à cœur de conserver auprès d’eux un homme intègre dont les lumières et les sages conseils leur ont été d’un si grand secours dans toutes les occasions où ils ont eu besoin d’y recourir’ ‘ 1560 ’ ‘ ’». Tout est ici résumé : le commissaire était apprécié quand son comportement, tant dans sa vie publique que privée, était en tous points modèle, quand il était présent pour ses administrés et savait répondre à leurs problèmes journaliers.

Cette notion de confiance aide à comprendre la grande proximité existant entre les classes populaires et leur commissaire. Celui-ci, du fait de la demande, revêtait les habits d’un conciliateur mâtiné d’un confesseur et d’un juge : ‘«’ ‘ Ne rendons-nous pas à la société plus de services qu’aucun juge ? Ne possédons-nous pas des secrets de famille qu’on n’oserait avouer à des juges ? Et chaque jour ne jugeons-nous pas des questions graves ou délicates ?’ ‘ 1561 ’ ‘ ».’

Notes
1556.

ADR, 4 M 371, Lettre du lieutenant de police du Rhône au préfet du Rhône, 08/07/1818.

1557.

ADR, 4 M 159, Lettre du commissaire central au préfet du Rhône, 24/09/1831.

1558.

ADR, 4 M 188, Lettre du commissaire de police de l’Hôtel de Ville au préfet du Rhône, 08/02/1823.

1559.

ADR, 4 M 39, Notices individuelles, sd [1er Empire].

1560.

ADR, 4 M 40, Pétition d’habitants du quartier Saint Jean adressée au préfet du Rhône, sd [1835 ?].

1561.

ADR, 4 M 159, Lettre du commissaire central au préfet du Rhône, 24/09/1831.