Validations

La méthode

Arrivé au terme de ce travail, que peut-on dire des choix méthodologiques et des hypothèses formulés au départ ? La pertinence des sources de police et de justice ne s’est jamais démentie. Leur utilisation n’a pas abouti à des impasses méthodologiques. Leur richesse permit de multiplier les angles de vue. Plusieurs scènes identiques ont ainsi été filmées à partir de différents points de vue. Les archives nous ont donné à comprendre le pouvoir et le peuple ainsi que leurs rencontres. Elles ont également permis de tenir le pari initial du mélange des approches qualitatives et quantitatives ; et celui-ci, avec le recul, était primordial. Repensons à la figure du parachutiste chère aux historiens 1669 . Largué de l’avion, il voit un pouvoir dominant et un peuple dominé ; se rapprochant, il constate l’existence d’une certaine autonomie permettant au peuple de vivre selon ses règles ; puis c’est la découverte du décalage, des positionnements divers et, un peu plus près encore, se dévoile la complexité des rapports entre les normes ; il est désormais assez proche du sol pour cibler des rapports concrets (peuple, police, justice) ; enfin, avant de poser le pied à terre, il s’aperçoit des relations interindividuelles, de la diversité des identités possibles et de leur caractère dynamique. Dans sa course, il contemple différentes vues du monde qui apparaissent parfois contradictoires et qui, pourtant, forment toutes une même réalité prise dans un même mouvement. Le parachutiste se dit alors que, finalement, s’il était resté le nez dans la terre à chercher des truffes ou s’il s’était contenté d’un survol en avion, il n’aurait rien vu…

On tempérera cet optimisme en rappelant qu’en un saut, il est difficile de tout voir. De fait, si on ne peut parler de regrets véritables, beaucoup reste à faire – mais n’est-ce pas le prix à payer lorsqu’on travaille à défricher une terre quasi vierge ? En quelques années, nous ne sommes pas venu à bout de la richesse des archives de police et de justice. Il serait ainsi bienvenu de se replonger dans l’ensemble des mains-courantes pour affiner nos connaissances de l’autorégulation populaire, du travail policier et des rapports peuple/police. De la même manière, tout reste à écrire au sujet du personnel de la police – agents comme employés de bureau. Certains points, trop vite traités faute de temps, mériteraient d’être réinvestis. Nous pensons tout particulièrement à l’étude des pensées bourgeoise et populaire ; ne pourrait-on pas prendre le temps de mieux connaître les influences de la pensée binaire ainsi que l’éducation et le parcours politique des hommes du pouvoir ? Le panorama général peint dans cette thèse demande à présent à ce qu’on s’intéresse aux points de détails et travaille en profondeur sur l’articulation groupes/individus et la place des stratégies individuelles. Inversement, il faudrait œuvrer à l’élargissement de ce panorama afin de mieux comprendre le Lyon du premier XIXe siècle ; ainsi un recensement fiscal complet dort depuis trop longtemps aux Archives municipales, alors qu’il pourrait apporter des connaissances inestimables au sujet de la population, de sa répartition géographique, de ses manières d’habiter, etc. Enfin, reste une question essentielle : si on espère avoir réussi à dégager un pan de l’histoire urbaine lyonnaise, quid des autres villes ? Comment s’organisaient pouvoir, peuple et rencontres dans les autres cités de province ? Qu’en était-il dans les bourgs et les petites villes ? Comment se faisait la transition entre le modèle communautaire villageois et le système urbain d’autorégulation ?

Notes
1669.

Lawrence Stone avait opposé les parachutistes aux chercheurs de truffes. L’expression avait été reprise par Nicola Gallerano et les Italiens s’en servirent pour opposer les partisans d’une macro histoire sociale à ceux défendant une approche micro historique. Cf. à ce sujet, Alberto M. BANTI, « Storie e microstrie : l’histoire sociale contemporaine en Italie (1972-1989) », Genèses, n° 3, mars 1991, p. 142.