2.3- La période technique professionnelle : (1810 -1960)

L’intérêt porté sur les archives par le pouvoir public durant le XIXe siècle a encouragé l’amélioration du niveau de qualification des bibliothécaires. La fondation de l’Ecole des Chartes en 1821 est une étape cruciale puisqu’elle a permis de donner une formation homogène aux nouvelles générations de professionnels. L’enseignement commun contribuera donc fortement à uniformiser leurs pratiques. De plus, la nécessité de transmettre leur savoir força les bibliographes enseignants à définir plus précisément un nombre de concepts fondamentaux, à commencer par celui de la bibliographie jusqu’alors ambiguë. Cependant, le développement des instruments de travail en matière de catalogage et de bibliographie ne suivait pas, selon Fayet-Scribe et Canet (2000), un rythme soutenu. Les nouvelles formations profitèrent essentiellement aux bibliothécaires parisiens. En province, la situation des bibliothèques restera tout au long de siècle beaucoup plus difficile.

A la fin du XIXe siècle, la nécessité d’une forme quelconque de normalisation des pratiques bibliographiques ainsi que du catalogage apparaît fondamentale aux professionnels du livre et du document. L’essor de l’édition, notamment des revues scientifiques, posa des problèmes inédits que l’isolement des bibliothèques ne permettait pas de régler.

Les tentatives des professionnels d’élaborer des règles susceptibles d’emporter l’adhésion de tous les professionnels prenaient, selon Fayet Scribe et Canet (2000), deux formes opposées. La première suivie par l’Association des Bibliothécaires Français (ABF) tendait à résoudre le problème en créant des règles adaptées à des besoins particuliers et qui tente par la suite un rapprochement avec d’autres secteurs. En marge des organisations des bibliothécaires se situe un monde également très concerné par le problème de normalisation des usages bibliographiques : le monde de l’édition. Même si l’objectif est commercial, leurs contributions aux pratiques bibliographiques étaient importantes. La maison d’édition Hachette (qui publiait la revue mensuelle Biblio depuis 1933, avant sa reprise en 1974 par la maison d’édition Cercle de la Librairie après sa fusion avec la bibliographie de la France) avait un service bibliographique dédié à étudier entre autres, la question de l’harmonisation des références bibliographiques.

La deuxième approche de la normalisation bibliographique essayait de mettre en placeun système global destiné d’emblée à s’imposer à tous, comme le tenta Paul Otlet, figure hégémonique du mouvement naissant des documentalistes.

Paul Otlet fonda en 1902, avec l’avocat bruxellois Henri Lafontaine, l’Office International de Bibliographie (OIB). Cet organisme devait permettre à ces deux personnages de mener a bien une gigantesque entreprise : recenser l’ensemble des ouvrages publiés depuis l’invention de l’imprimerie pour constituer un Répertoire Bibliographique Universel (R.B.U). Les ambitions humanistes d’Otlet l’ont amené à aller très loin dans la réalisation de son projet. Il créa avec Lafontaine la «  Classification Décimale Universelle » (C.D.U), qui est une version améliorée et plus précise de la classification de Melvil Dewey. Pour lui le degré de précision de la classification est important pour qu’aucun écrit n’échappe au répertoire 24 .

Otlet comprend aussitôt que la réussite de son projet passera obligatoirement par la normalisation du catalogage. Il s’attacha à généraliser les pratiques anglo-saxonnes et à imposer l’emploi d’un type de fichier cartonné unique, utilisé encore aujourd’hui. Il poursuivit son travail en créant un réseau de différents instituts bibliographiques nationaux en Europe et organisa des congrès nationaux rassemblant des documentalistes, des bibliographes et des bibliothécaires. Son congrès commun, qui eut lieu à Bruxelles en juillet 1910, obtint un succès considérable à tel point qu’il fut considéré comme le point de départ de toute coopération internationale future en matière de bibliographie.

Le projet était ambitieux, mais venait selon Fayet-Scribe (2000) trop tôt. Le gouvernement belge décide de fermer la mundaneum qui est un projet, proposé par Otlet, d’une bibliothèque internationale où le répertoire bibliographique universel devrait être réalisé. Privé de moyens financiers et législatifs que seul l’Etat pouvait lui procurer, le pari que constituait la création de la bibliographie universelle et du répertoire était perdu d’avance.

Devant l’immensité du travail à accomplir, l’Institut International de la Bibliographie commença à se spécialiser à son tour. Pour répondre au besoin croissant de la documentation dans l’industrie, l’(OIB) s’intéressa de plus en plus à la documentation. Il fut rebaptisé en 1931, Institut International de la Documentation (IID) puis Fédération Internationale de Documentation (FID) en 1938.

Cependant, les exigences de la normalisation ont fini par s’imposer, d’autant plus que le traitement informatique des notices descriptives généralisé après la deuxième moitié de XXe siècle, impose la soumission à des règles impératives. En outre, le travail bibliographique devint de plus en plus international et imposa des échanges de données rendant nécessaire l’homogénéisation des règles. La Fédération Internationale des Associations des Bibliothécaires (IFLA) s’est attachée à mettre au point un modèle général, maintenant adopté dans la pluspart des pays : la Description Bibliographique Internationale Normalisée (ISBD).

L’essor des technologies des ordinateurs après la deuxième guerre mondial, a révolutionné les pratiques bibliographiques. Il a constitué l’un des moteurs importants à l’émergence de l’industrie de l’information bibliographique.

Notes
24.

Guy Plechaud, « Paul otlet, André Canonne : textes sur l’écrit et le document », in : La pensée, n° 281, 1991, PP 53-60.