1.2.Le cadre contextuel

Nous l’avons dit précédemment, les données enregistrées pour l’analyse doivent être des données in situ, l’analyse des interactions se fait donc avec son contexte, le contexte déterminant non seulement la production des énoncés, mais aussi leur interprétation. Hymes a ainsi créé, en 1967 25 , un modèle pour l’étude de la communication, modèle composé des huit éléments de nature différente 26 nécessaires à toute interaction. Ce modèle est nommé SPEAKING, où chaque lettre constituant ce terme renvoie à l’une des composantes :

Nous ne reprendrons pas en détail chacun de ces éléments pour la description de la situation de communication dans nos corpus. Nous reprendrons plutôt ici le modèle de Brown et Fraser, qui est un modèle présentant «les composantes générales de l’interaction :

Les différentes situations de communication des interactions de nos corpus sont donc composées de participants (une secrétaire et un-e client-e, voire un troisième acteur, le patron ou un-e autre employé-e) et d’une « scène ».

Le site (« setting ») correspond au cadre spatio-temporel. En ce qui concerne nos corpus, il s’agit de l’entreprise, précisément du bureau de la secrétaire pendant ses heures de travail. L’une des spécificités des interactions à distance telles que les interactions téléphoniques est que les deux locuteurs ne se trouvent pas dans le même site. Compte tenu du fait que le locuteur à l’origine de l’appel est toujours le/la client-e (sauf dans le cadre des appels internes, mais ces appels seront l’objet d’une analyse particulière), et que son but est de contacter l’entreprise, nous ne nous intéresserons qu’au site de l’entreprise 28 . Le cadre spatial peut être décrit, d’une part, du point de vue purement physique, c’est-à-dire que la description porte alors sur les caractéristiques physiques du lieu où se déroule l’interaction. Nous présenterons ainsi dans notre prochaine partie l’organisation des espaces de travail dans l’entreprise. Le cadre spatial peut être décrit, d’autre part, selon sa fonction sociale et institutionnelle (que représente cet espace, quelle est son utilisation). Le cadre temporel quant à lui est lui aussi essentiel à la description du (bon) déroulement d’une interaction, puisqu’il permet de répondre à certaines questions telles que : à quel moment se présenter, saluer, clore l’échange, etc.

Le but (« purpose ») 29 comprend à la fois le but global de l’interaction (ici, l’appel téléphonique d’un-e client-e à une entreprise), et les buts ponctuels correspondant à chaque acte de langage qui sera réalisé au cours de l’interaction. Dans le cadre de notre analyse, nous nous trouvons face à des interactions à finalité externe, le but de l’appel étant, pour le/la client-e, de formuler sa requête. La requête peut consister en une demande de renseignement (demande de prix sur un produit, demande de délai pour une livraison, etc.), ou de service (demande de visite d’un ouvrier ou du patron chez un-e client-e ou sur un chantier pour évaluer des travaux par exemple), une réclamation, etc.

Les participants peuvent être décrits selon différents points de vue : leurs caractéristiques individuelles physiques et biologiques (âge, sexe, etc.), sociales (profession, statut, etc.), psychologiques (caractère, humeur). Dans nos corpus, nous nous attarderons particulièrement sur les caractéristiques de la secrétaire. En effet, elle est systématiquement présente lors de chaque interaction d’un même corpus, il est donc nécessaire de dégager les caractéristiques pertinentes de chacune des secrétaires dans le contexte de l’interaction. Ces caractéristiques peuvent être physiques, biologiques, sociales et psychologiques, mais toutes ne sont pas pertinentes dans la situation de communication (le physique n’est à priori pas pertinent puisque les interactions entre client-e et secrétaire se font à distance, par contre l’âge peut, lui, être pertinent car il peut être perceptible dans la voix). En ce qui concerne les client-e-s, il serait inutile de présenter les caractéristiques de chacun d’eux, étant donné que nos corpus contiennent la plupart du temps autant d’interactions que de client-e-s différents. De plus, il était matériellement impossible de présenter de telles caractéristiques étant donné que les interactions se déroulent à distance, que certains appelants ne sont « que » des clients potentiels (donc inconnus de la secrétaire) et qu’ils n’étaient pas au courant de l’enregistrement de l’interaction. Il sera par contre pertinent pour l’analyse de préciser si la secrétaire et le/la client-e se connaissent ou plutôt se reconnaissent. En effet, l’interaction ne se déroulera pas de la même façon (surtout lors de la séquence d’ouverture, nous le verrons lors de la description du script des interactions), selon le degré de connaissance mutuelle des participants.

Notes
25.

Modèle décrit dans l’article intitulé « Models of the interaction of language and social setting », et révisé en 1972, in Gumperz et Hymes (eds).

26.

Des éléments du contexte tels que le site, les participants et les buts, mais aussi des éléments du type propriétés, ingrédients (les actes) de l’interaction.

27.

Voir Kakobson, les fonctions du message.

28.

Nous aurions pu choisir de nous placer du côté du client, et d’enregistrer ses interactions avec différentes entreprises. Mais ce point de vue aurait débouché alors sur une tout autre analyse.

29.

Le « purpose  » de Brown et Fraser correspond à ce que Hymes appelle «  end  ».