2.1.Des interactions à finalité externe

La conversation et l’interaction professionnelle se distinguent par leur finalité différente. La conversation est définie comme une interaction non finalisée, c’est-à-dire qu’aucun thème, objectif ne sont exprimés, fixés à l’avance. Ceci ne signifie pas qu’elle n’a pas de finalité, au contraire. La conversation présente une finalité sociale interne,elle a en effet pour fonction d’‘«’ ‘ affirmer et confirmer l’existence de liens sociaux privilégiés entre des individus ’ ‘»’ (Vion, 1992 : 127).

L’interaction professionnelle du type commercial a une finalité externe à celle-ci, elle fait l’objet d’un véritable enjeu, à savoir l’achat/ la vente d’un bien ou d’un service, la demande d’information ou de service, la prise de décision, etc. L’existence même de l’interaction se justifie par l’échange matériel (vente de bien) ou immatériel (échange d’informations, etc.). C’est ce que Goffman explique en notant que :

‘Bien qu’on y observe fréquemment de véritables échanges rituels, c’est la transaction matérielle qui forme le contexte significatif en même temps que l’unité pertinente ; les paroles que peut prononcer l’un des participants ou les deux constituent une partie intégrante d’une entreprise mutuellement coordonnée, non d’une conversation (1987 : 151).’

C’est l’échange de biens par téléphone et la transmission d’informations qui composent l’interaction, et ce sont les participants qui sont les porteurs de ce but. En effet, ce sont eux qui décident d’entrer en interaction, de s’engager dans un échange commercial. Dans les interactions entreprise–clients de nos corpus, tous les appelants-clients appellent pour demander un renseignement, un service, pour faire une réclamation, etc. Le site détermine donc aussi le type d’interaction, puisque l’entreprise a une finalité propre. La différence toutefois entre un lieu de commerce du type petit commerce et une entreprise est que l’entreprise est à la fois un lieu de production (de fabrication) et un lieu de commerce et qu’elle ne produit pas pour de la vente immédiate (comme c’est le cas pour une boulangerie par exemple). Toutefois, les interactions de travail peuvent laisser place à quelques « écarts ». Il arrive par exemple qu’au cours de l’interaction, se développe un module conversationnel entre la secrétaire et son ou sa client-e, mais aucun des deux n’oublie que l’interaction a lieu en raison d’un objectif à atteindre. Il peut arriver aussi que l’appelant a un but non commercial, c’est-à-dire hors script. C’est le cas des appels personnels sur le lieu de travail par exemple. Il m’a été rapporté lors d’un colloque une anecdote amusante par un chercheur anglais 85 travaillant sur la requête : un homme travaillant dans une banque répond au téléphone en annonçant : « Bonjour, Agent x, que puis-je faire pour vous ? », et la personne au bout du fil lui rétorque « Bonjour, peux-tu prendre le pain en rentrant ? ». Il s’agissait en fait de sa femme, et l’agent est resté quelques secondes interloqué, ne sachant quoi répondre n’ayant pas « recadré » cette intervention dans son contexte, ici non plus professionnel mais personnel. Le site détermine le type d’interaction, mais ce sont donc les participants qui sont porteurs du but de l’interaction : Le but de l’interaction se localise quelque part entre le site (qui a une destination propre) et les participants (qui ont leurs propres objectifs) (Kerbrat-Orecchioni, 1996 : 79).

Notes
85.

Geoffrey Raymond, Université de York, Grande-Bretagne.