2.2.Des rapports de place complémentaires

‘Une interaction symétrique se caractérise donc par l’égalité et la minimisation de la différence, tandis qu’une interaction complémentaire se fonde sur la maximalisation de la différence. Dans une relation complémentaire, il y a deux positions différentes possibles. L’un des partenaires occupe une position qui a été désignée comme supérieure, première ou « haute » (one-up), et l’autre la position correspondante dite inférieure, seconde ou « basse »(one-down) (Watzlawick, Beavin & Jackson, 1972 : 66-67).’

Cette définition des interactions complémentaires est contestable, en ce sens que toutes les interactions complémentaires ne sont pas hiérarchiques, loin de là. Dans le cadre des interactions de travail dans l’entreprise, nous pouvons distinguer trois types d’interactions :

Figure 5 : Types d’interactions dans l’entreprise
Figure 5 : Types d’interactions dans l’entreprise

Si, dans une conversation familière, nous pouvons noter une certaine égalité, du moins une symétrie des places des participants, ce n’est pas le cas dans une interaction de travail. En effet, dans la conversation, il n’y a pas de différence de positionnement des partenaires sur l’axe vertical. Les interactants ne se situent pas selon une position basse et une position haute, il n’y a ni position haute, ni position basse. Par contre, dans les interactions de travail, telles que celles ayant lieu entre la secrétaire d’une entreprise et un client (ou client éventuel), les places sont plus ou moins prédéterminées dans le contexte socio-institutionnel. Ce rapport de places est donc prédéterminé par le type d’interaction. Le rapport de places est aussi lié aux caractéristiques particulières des participants et de la situation, et lié au déroulement lui-même de l’interaction. Les places sont donc aussi établies en fonction notamment de la compétence des interactants, leurs rôles et statuts, leur sexe, etc. La relation est par nature complémentaire ‘«’ ‘ dans la mesure où chacun des protagonistes y participe à travers un rôle spécialisé (client, administré, service ou professionnel) ’ ‘»’ (Vion, 1992 : 133). La complémentarité se fonde donc sur la relation établie par les rôles des participants. Dans les interactions de travail dans l’entreprise, chaque participant assume un rôle selon son statut. La secrétaire, de par ce statut, a le rôle de vendre des biens, fournir des renseignements, etc., alors que le client a le rôle d’acheteur, de demandeur d’informations, etc.

Certaines interactions complémentaires sont aussi hiérarchiques, telles que les interactions médecin-patient, professeur-élève ou encore patron-secrétaire. Mais comme nous l’avons précisé, toutes ne le sont pas : ‘«’ ‘ C’est avec la transaction que la complémentarité des places peut le moins facilement s’exprimer en termes de rapports haut/ bas ’ ‘»’ (Vion, 1992 : 134). Même si l’on dit souvent dans le commerce que « le client est roi », car le client a pour lui le « vouloir » (il peut refuser de se laisser conduire, partir sans rien acheter, etc.) et bien sûr les moyens financiers, le vendeur détient tout de même le savoir, une compétence supérieure sur l’objet de la transaction. Il détient donc un certain pouvoir. ‘«’ ‘ Chacun des participants a donc une tâche prédéfinie, complémentaire de celle de son partenaire ’ ‘»’ (Traverso, 1999 : 90). Dans les très petites, petites et moyennes entreprises, telles que celles de nos corpus, les relations entretenues entre clients et secrétaires sont donc bien des relations complémentaires : le client téléphone pour une demande de service, de renseignement, ou de bien, et l’entreprise, par le biais de la secrétaire (au moins lors de son premier contact), détient l’accès aux informations qu’il demande (délai, prix, etc.), donc une certaine forme de pouvoir. « C’est lui qui détient le bien à pourvoir (objet ou information) » (Kerbrat-Orecchioni, 1992 : 118). Toutefois, une même interaction peut mettre en œuvre plusieurs rapports de place :

‘Ainsi, telle interaction donnée pourra, par exemple, fonctionner sur la complémentarité au niveau de son cadre interactif –comme la consultation médicale- et, de manière subordonnée, sur la symétrie. Cette symétrie correspondra (…) à des moments « conversationnels », (…) à la nécessité de coopérer, ou à la mise en œuvre de stratégies de communication (Vion, 1992 : 124-125).’

Pour conclure, nous pouvons souligner le fait que les entreprises étudiées ici, comme les autres entreprises, ont besoin des clients pour vivre, ce qui donne aux clients un certain pouvoir (dont celui de négocier des prix ou des délais). La relation commerçant – client est donc basée sur une dissymétrie des rôles, chacun possédant un certain pouvoir (à un niveau différent). Pour toutes ces raisons, le rapport de places, dans ce type d’interaction, est difficilement définissable du point de vue haut/ bas, et ces rapports se redéfinissent à chaque interaction.