3.Des activités de vente

Le Petit Robert définit l’activité de commerce comme ‘«’ ‘ une opération, une activité d’achat et de revente d’un produit, d’une valeur ’ ‘»’. Il s’agit donc de la vente de produits matériels, telle que la vente dans une boulangerie, une boucherie, etc. L’activité de service se définit par l’action de servir. C’est une ‘«’ ‘ activité ayant pour objet de fournir des biens immatériels contre paiement (prestation de service) ’ ‘»’ (Petit Robert). Il peut s’agir d’une activité d’utilité publique comme la mairie, la poste. Ainsi, vendre des timbres ou faire un certificat de naissance relève du service et non du commerce.

Dans nos entreprises, même si le but des appels n’est pas systématiquement d’aboutir à une transaction commerciale (il y a de nombreux appels passés pour des demandes de renseignements), ces entreprises vivent bien du commerce, c’est-à-dire de la vente de biens matériels. Dans l’entreprise Artisans, le but des appels est en règle générale une demande de renseignement, de prix ou de rendez-vous, ou encore une demande de devis, et plus rarement, une commande par téléphone. Dans l’entreprise Fournisseurs, artisans eux aussi, mais à plus grande échelle, les clients, par téléphone, demandent avant tout des renseignements, mais commandent aussi des produits. Dans l’entreprise Transporteurs, la secrétaire vend les transports par téléphone (les clients ne se déplacent pas, puisqu’ils sont la plupart du temps à l’autre bout de la France ou à l’étranger). Elle donne aussi beaucoup d’informations par téléphone. Enfin, les conseillères du cabinet Assureurs passent une partie de leur temps à donner des renseignements par téléphone (les éventuels clients font marcher la concurrence). Elles vendent éventuellement des contrats par téléphone. Peut-on parler de bien matériel quand on parle de contrat d’assurance ? Dans un sens, le contrat d’assurance a un caractère immatériel puisque ce document assure le client bénéficiaire de certains dommages qui pourraient lui arriver et celui-ci ne sait jamais vraiment à l’avance comment il sera assuré. Toutefois, le bénéficiaire paie pour ce contrat, toutes les assurances ne sont pas les mêmes et ne pratiquent pas les mêmes prix, il s’agit donc bien de commerce. Dans chacune de ces entreprises, nous retrouvons certaines caractéristiques communes. Mis à part la complémentarité des places, ainsi que leur finalité externe, dont nous avons déjà parlé, le script dans les interactions commerciales est à peu près identique :

‘L’interaction dans les commerces se déroule de façon répétitive, ce qui permet d’en dégager un script précis, c’est-à-dire, une séquence d’actions qui s’enchaînent de façon pré-déterminée, dans une situation bien connue (Traverso, 1999 : 87). ’

Ce script est connu par les deux participants, mais de façon inégale (le vendeur est l’expert), ce qui entraîne parfois des zones de flottement en ouverture de l’interaction 87 . Malgré ces zones de flottement, l’existence et la connaissance du script permettent avant tout une économie de temps et de discours. Le client et le vendeur savent tous deux pourquoi ils sont là. De plus, dans chacune de ces entreprises, nous pouvons remarquer que l’accent est mis sur ce que nous pouvons appeler « l’orientation-client », terme emprunté à Benghozi (1998) 88 . Que ces clients soient des entreprises ou des particuliers, que ce soient des clients potentiels (qui n’appellent en général, à ce stade, que pour avoir des informations), ou de véritables clients (qui ont des échanges commerciaux avec l’entreprise), les entreprises donnent une grande importance à leur relation avec le client. En effet, la relation unissant les protagonistes n’est plus seulement une relation commerciale, de type transactionnel. Leur relation ne se limite pas à l’échange d’un bien, mais elle s’est transformée, au fil du temps et des évolutions technologiques, en une relation de service : information, maintenance, accueil, service après-vente, etc. Il est probable que cette évolution des relations entre clients et entreprises (surtout dans le bâtiment) soit notamment due au développement des grandes surfaces spécialisées dans le bricolage et à l’explosion des ventes de matériaux du bâtiment dans ces magasins. Le client trouve de plus en plus facilement dans ces grandes surfaces des biens et services que les petites entreprises du bâtiment vendent aussi (verres, miroirs, stores, etc.). Mais il trouve en plus, dans ces grandes surfaces, un interlocuteur très présent : service après-vente et dépannage 24 heures sur 24, ouvert, donc présent, le samedi et certains jours fériés, des avantages financiers (crédits, promotions, etc.)… Le client de la société actuelle est donc aujourd’hui habitué à trouver rapidement et facilement un bien, un service, ce qui pousse les TPE et PME à s’adapter, bien que le problème des délais (toujours trop longs pour les clients) reste difficile à résoudre pour ces entreprises qui n’ont que très peu de stocks.

Ainsi, dans l’extrait suivant, issu du corpus Artisans (Interaction 8, 1999), une cliente potentielle appelle pour une requête un peu spéciale, étant donné qu’elle a acheté la matière dans une grande surface et qu’elle veut des renseignements concernant l’installation.

32C et euh . j’voulais savoir si vous nous le poseriez .. si on s’procure en fait le Plexiglas si vous nous l’poseriez

(…)

35S hein c’est pas pour juste juste vous l’poser oui euh oui faut i’faudrait évaluer la pose (…) pa’ce que l’Plexiglas vous vous l’procuriez autrement ↑

(…)

38C =oui c’est ça oui pa’ce nous c’est vrai qu’on s’y connaît pas trop en en plexi savoir comment c’est posé quoi

(…)

54C oui pa’ce qu’au départ on voulait l’faire nous-mêmes mais disons que (soupir) vu qu’on s’y connaît pas trop ç’aurait été un peu du n’importe quoi

La cliente explique donc ici qu’elle s’est fournie elle-même le matériel nécessaire, probablement à un prix plus bas que dans la petite entreprise, mais ne sachant pas l’installer toute seule, et n’ayant pas les compétences nécessaires (« on s’y connaît pas trop »), elle doit faire appel à un spécialiste. Son comportement est un acte « menaçant » pour la secrétaire et l’entreprise, puisque cela signifie que leurs produits sont forcément plus chers qu’en grande surface mais que leur savoir-faire est nécessaire au client. Les artisans ne peuvent qu’accepter ce type de requête puisqu’il est de plus en plus courant.

Nous allons maintenant voir comment se déroule une interaction entre client et secrétaire, et entre secrétaire et autre employé de l’entreprise. Nous décrirons chaque étape de l’interaction, de l’ouverture du canal aux salutations finales, la formulation de la requête sera toutefois décrite et analysée dans notre quatrième partie (chapitre 10).

Notes
87.

Nous en parlerons précisément dans la partie suivante.

88.

L’orientation-client « traduit ensuite une évolution des transactions qui ne se réduisent plus à l’échange d’un bien mais se transforment en relation de service : information, maintenance, accueil, adaptation ou service après-vente font désormais partie intégrante de ces transactions », Benghozi, 1998 : 16.