1.3.1.Les pré-clôtures

Ces pré-clôtures peuvent être de différentes sortes :

  • Il peut s’agir d’un marqueur, tel que « bon », « bien », « d’accord », pouvant être réitéré, combiné à d’autres marqueurs, quand l’un des interactants a vraiment envie de clore alors que l’autre n’y prête pas attention (à moins qu’il ne veuille pas clore) :
The kind of pre-closing we have in mind takes one of the following forms, «  well…  » , «  OK…  » , «  So-oo  » , etc. –with downward intonation contours-, these forms constituting the entire utterance (Schegloff & Sacks, 1973 : 303).’
  • Une justification montrant la nécessité de clore (« j’ai un rendez-vous », « j’ai un deuxième appel », etc.).
  • Une reformulation d’un thème abordé au cours de l’interaction, une récapitulation, synthèse de ce qui s’est dit d’essentiel et que les locuteurs ne doivent pas oublier. L’aboutissement à un accord nécessite la reformulation, afin d’être sûr que chaque locuteur retient la même information. La récapitulation des informations est même recommandée par les manuels de formation, à chaque étape importante de l’interaction, et surtout en clotûre (« après avoir présenté une information dense ») :
‘La préoccupation de communiquer une information exhaustive à son interlocuteur impose, en cours d’entretien téléphonique, la contrainte de la reformulation : hors de la présence physique de celui à qui l’on parle, on est amené, après avoir présenté une information dense, à la synthétiser, parfois même à la formuler autrement (Module de formation Assureurs, voir annexe 3).’

Les pré-clôtures sont en général initiées par la secrétaire, surtout quand les appelants sont des particuliers. Ceux-ci ont en effet tendance à s’attarder sur des détails non pertinents pour la secrétaire, à répéter plusieurs fois la même chose, etc. La secrétaire, par ces marqueurs de pré-clôture, indique ainsi au client que la requête est réalisée, qu’elle a bien compris le message à faire passer, et que l’interaction peut ainsi se terminer. Elles sont formulées, pour être efficaces, à des points de transition, après des signaux de fin de tour, qui peuvent être de nature verbale (morphèmes connotant la clôture, comme « bon », « d’accord », « voilà », etc., expressions phatiques comme « hein », « non ? », etc.), ou de nature phonétique et prosodique (ralentissement de débit, pauses, etc.). Les pauses posent toutefois certains problèmes d’interprétation, étant donné que l’on peut rencontrer des pauses à l’intérieur des tours et qu’elles peuvent être interprétées, involontairement ou au contraire, volontairement, comme des moments de transition : « Ainsi, les pauses internes au tour (…) risquent-elles d’être traitées par L 2, de bonne ou de mauvaise foi, comme des places transitionnelles » (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 166).

Il n’y a, en général, pas de « raté » dans la clôture, c’est-à-dire de séquence de clôture dans laquelle l’un des locuteurs tente à tout prix de clore alors que l’autre relance, ignorant ces signaux. Et si c’est le cas, la secrétaire ne peut qu’attendre l’accord de son client pour clore l’interaction, et ce, pour paraître le moins menaçante possible (même si une autre ligne sonne simultanément, un client patiente dans son bureau, etc.). Ainsi, dans l’interaction 1 du corpus Fournisseurs, malgré de nombreux marqueurs de pré-clôture de la part de la secrétaire, et son désir de conclure, le client relance sur de nouveaux thèmes.

Interaction 1 34C bon d’accord vous débloquez aussi=

35L =d’accord

36C . euh: . voilà

37L bon=

38C =bon d’autre part …

A l’annonce de la relance d’un nouveau thème par le client, la secrétaire fait la grimace 93 , pensant qu’après ces signaux de clôture (« voilà », « bon »), l’interaction allait se terminer.

57L voilà bon très bien j’rajoute ça alors

58C voilà . euh d’autre part …

Enfin, en 72, le client amorce lui-même la clôture :

70C donc lundi au plus tard ici

71L moui à peu près ouais

72C d’accord bien merci=

73L =voilà bonne journée

En ce qui concerne le temps écoulé entre le premier pre-closing et les salutations finales, il est variable selon le type d’interaction et la relation entre les locuteurs. Dans les conversations familières, les échanges peuvent encore être longs entre le premier marqueur de clôture et la clôture proprement dite, contrairement aux interactions de travail, dans lesquelles cette séquence est en général beaucoup plus brève une fois la requête réalisée. Toutefois, elle peut être rallongée dans deux situations : si les locuteurs se connaissent, ils peuvent alors échanger, de façon plus personnelle, des vœux, des projets, ou relancer sur un thème. Ces thèmes plus personnels sont tout de même, en règle générale, plutôt abordés en séquence d’ouverture. Ensuite, si l’un des locuteurs refuse de clore, lorsque le moment proposé par l’autre ne lui convient pas :

‘Un nouveau thème de conversation peut être introduit après quasiment chacune des phases de la séquence : après la pré-clôture (auquel cas, pour fermer réellement la communication, il faut réitérer la pré-clôture jusqu’à ce qu’elle soit acceptée comme telle), et même après les salutations finales (Traverso, 1996 : 76). ’

C’est ce qui se passe dans l’interaction 2 du corpus Artisans 97, dans laquelle la cliente, madame W., ignore les marqueurs de pré-clôture formulés par la secrétaire, assez tôt dans l’interaction, parce que le moment ne lui convient pas (elle n’a pas dit tout ce qu’elle avait à dire) 94 .

Dans l’entreprise Fournisseurs, les requêtes formulées par les clients sont souvent très précises : des demandes d’information sur les délais de leurs commandes, des demandes pour parler à un autre employé ou au patron, etc. Quand les clients veulent savoir ou en sont leur(s) commande(s), il leur suffit de donner le numéro de la ou des commandes en question, la secrétaire donne l’information, fait des modifications, etc. et le client peut conclure. La séquence de clôture se déroule donc très vite. Sur 49 interactions enregistrées, 38% n’ont pas été prises en compte car ce sont, soit des interactions sans clôture (l’appel a été passé à un autre employé, dans un autre bureau), soit des appels internes (nous les traiterons dans la partie suivante, mais nous pouvons déjà remarquer que les séquences de clôture dans les appels externes sont similaires à celles des appels internes). Sur les 30 interactions restantes, environ 90% des interactions sont clôturées de façon quasi immédiate (de un à trois échanges entre l’accord final et la clôture).

Séquence de Clôture abrégée Séquence de clôture avec relance ou récapitulation
90 % 10 %

Demande de parler à un autre employé : extrait de l’Interaction 7

10C ben: j’rappelerai demain matin pa’ce que (inaudible)

11L ah bon d’accord et ben très bien

12C OK [bonne journée

13L [merci

14C au [r’voir

15L [au r’voir

Une fois la réponse donnée et l’accord établi, les interactants clôturent l’interaction en deux échanges : E 1 - Souhait – Remerciement

E 2 - Salutation finale – Salutation finale

Résolution d’un problème : extrait de l’Interaction 13

80C donc j’attends qu’vous me rappeliez

81L oui oui je vous rappelle

82C allez au r’voir

83L au r’voir

Requête concernant une commande : Interaction 30

64M j’vais le repasser en commande y a pas d’[problème

65C [d’accord

66M d’accord

67C merci

68M bah c’est noté=

69C =au r’voir

70M au r’voir

Interaction 35

21M .. 0224

22C d’accord merci beaucoup

23M j’vous en prie

24C [au r’voir

25M [au r’voir

Dans ces trois extraits d’interactions, les échanges ont une organisation linéaire à deux interventions, construits sur le modèle suivant :

- L 1 Verbalisation/ Rappel de l’accord

- L 2 Acceptation

- L 1 Remerciement

- L 2 Réponse (remerciement, ou minimisation du service)

- L 1 Salutation finale

- L 2 Renvoi de la salutation

L’échange des remerciements n’est pas systématique, nous pouvons voir qu’il peut soit être inexistant (I 13), soit être inséré dans une autre intervention (avec la verbalisation de l’accord, I 35).

Dans l’entreprise Transporteurs, la séquence de clôture se déroule encore plus vite. De nombreux appels sont aussi des demandes précises : des demandes de prix, des demandes de service (« avez-vous un camion pour tel pays ? »), ou pour parler au patron. La secrétaire détient une grande partie des informations, elle peut donc répondre rapidement à la demande du client, et la clôture se fait aussi très rapidement, que les locuteurs se connaissent (chauffeur et secrétaire par exemple), ou qu’ils ne se connaissent pas (client potentiel).

Séquence de Clôture abrégée
(2 échanges)
Séquence de clôture avec relance ou récapitulation
97 % 3 %

Requête concernant un service : exemple issu de l’Interaction 5 (98)

75C oui et il faut que ça s’en va avant parce que (inaudible)

76S [oui bien sûr bien sûr

77C [OK ↑

78S [OK

79C d’accord [au r’voir merci au r’voir

80S [merci

Demande de parler au supérieur : Interaction 6

9S he’s on telephon

10C OK [he telephon me it’s important

11S OK

12C OK ↑

13S bye

14C bye bye

Requête pour un transport : Interaction 21

4C vous auriez un véhicule demain sur Anvers

5S sur . Anvers . non personne

6C OK merci

7S merci au [r’voir

8C [au r’voir

Nous retrouvons ici aussi plusieurs types d’échanges :

1) Dans l’interaction 6, un exemple type de l’échange formé de deux interventions (la première est initiative, la seconde, réactive) à organisation linaire :

- L 1 OK a
- L 2 OK a’

- L 1 bye b
- L 2 bye b’

2) Dans l’interaction 21, nous avons un échange à deux interventions aussi, mais cette fois avec une organisation différente. L’échange est aussi un échange linéaire, mais avec une troncation, puisque, dans la même intervention, la secrétaire remercie le client pour l’appel et le salue, alors que le client ne répond qu’à la salutation.

L 1 Remerciement + Salutation a ---------b

L 2 Salutation -b

Dans l’entreprise Artisans, les séquences de clôture ne se déroulent pas tout à fait de la même façon, ceci étant dû notamment au type de requête formulé par les clients. En effet, parmi les différentes requêtes que nous pouvons retrouver, il y en a de nombreuses qui concernent une visite du patron ou d’un employé chez le client (pour faire ensuite un devis), ou des demandes de service particulières. De plus, la secrétaire a l’habitude de récapituler l’accord qui a été passé entre son client et elle (le lieu, le jour, l’heure du rendez-vous, ou même le message qu’elle doit faire passer au patron (« dès qu’il revient, je lui dirais »). En effet, si la requête du client consistait à vouloir parler au patron, elle ne peut que promettre qu’elle le fera. Les chiffres sont donc moins tranchés que dans les séquences de clôture des autres entreprises, et nous allons voir que nous n’y trouvons pas les mêmes actes de clôture.

Séquence de Clôture abrégée
(2 échanges)
Séquence de clôture avec relance ou récapitulation
54 % 46 %

Prise de rendez-vous avec le patron : Interaction 1 (corpus Artisans, 99)

45S voilà et bien écoutez c’est noté pour donc le mardi 23 16 heures

46C merci

47S de rien au r’voir [madame

48C [au r’voir

Interaction 6 119S voilà et bien on le marque pour 8 heures euh mer[credi 31

120C [mercredi bon ben très bien madame

121S au r’voir madame

122C merci au r’voir

Demande de service : Interaction 8

73S =d’accord bah écoutez je vais lui dire hein et pi euh::: i’verra ça avec vous alors hein

74C d’accord

75S très bien

76C j’vous remercie=

77S =au r’voir madame

78C au r’voir

Dans ce corpus, de nombreux échanges de clôture se déroulent comme le premier extrait (Interaction 1), c’est-à-dire en trois interventions, mais pas du type interventions initiative, réactive et évaluative. Le client remercie la secrétaire après qu’elle a récapitulé l’accord passé entre eux au cours de l’interaction. Celle-ci répond par une salutation finale, qui n’est pas forcément accompagnée d’une réponse au remerciement. Le client renvoie ensuite la salutation.

L 1 Remerciement L 1 a

L 2 (Réponse au remerciement) – Salutation L 2 (a’) --- - b

L 1 Salutation L 1 - b’

S’il y a réponse au remerciement avant la salutation, les échanges sont linéaires mais avec une imbrication. C’est-à-dire qu’il y a bien deux échanges complets (Remerciements, Salutations), « mais les quatre unités fonctionnelles (dans le cas où ils sont tous deux binaires) sont réalisées par trois unités formelles seulement, l’unité médiane étant fonctionnellement bivalente » (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 244). Si la secrétaire ne répond pas au remerciement (par un minimisateur du type « de rien », « je vous en prie »), l’échange est linéaire mais tronqué.

Notes
93.

Relevée lors de l’enregistrement auquel j’assistais.

94.

Voir notre analyse de cette interaction dans notre partie sur les négociations.