Récapitulation

Nous avons présenté dans cette première partie les caractéristiques générales des interactions de nos corpus, ainsi que le script des interactions de travail au téléphone entre secrétaire et client, en décrivant de façon détaillée les deux séquences encadrantes que sont la séquence d’ouverture (de l’ouverture du canal à l’entrée dans le vif du sujet) et la séquence de clôture. Nous avons pu, grâce à la comparaison de différents corpus, relever des variations dans le script, variations liées à des éléments de nature diverse : relation client – secrétaire, type de requête (nous développerons de point dans notre quatrième partie), rôles et pouvoir de la secrétaire, etc. Nous avons aussi proposé un schéma général du déroulement de ces interactions, repris sous forme de tableau pour plus clarté à la page suivante, schéma mis en parallèle avec un deuxième schéma, celui des « appels internes ». Nous avons en effet souligné par ailleurs les variations dues cette fois au statut de l’interlocuteur de la secrétaire. L’un de nos corpus (Fournisseurs) nous a effectivement permis de proposer un deuxième type de script, celui des appels entre la secrétaire et un autre employé de la même entreprise.

Dans cette première partie, nous avons notamment souligné l’importance de la séquence d’ouverture dans les interactions de travail à distance, importance liée à l’absence du canal visuel. L’une de nos hypothèse de départ, hypothèse qui avait pris naissance à l’écoute des corpus, était que la secrétaire véhicule, dès les premiers échanges avec son interlocuteur (principalement quand il n’est pas encore client), une image de l’entreprise 103 . Ainsi, le client (qui ne l’est pas encore lors de son premier appel, et qui ne le sera peut-être jamais) va se construire une image de l’entreprise, et cette image renvoyée par la secrétaire va plus ou moins influencer le comportement voco-verbal du client.

‘La fonction de la séquence d’ouverture est phatique. Elle doit rendre possible l’échange, donner le ton, définir la situation et les négociations explicites ou implicites en ce qui concerne les identités, la relation, le but de la rencontre, son type et son style, son existence (Thomsen, 2000 : 32).’

C’est pour cette raison que les manuels de politesse tout comme ceux de formation (qui se fondent probablement sur les premiers) insistent sur l’ouverture des interactions.

‘C’est dans le monde des affaires qu’on trouve le plus gros volume de communication verbale entre personnes qui ne se sont jamais vues (…). Dans le monde des affaires, les compagnies considèrent qu’il est très important d’éduquer les secrétaires, de sorte qu’elles connaissent les bonnes manières et le protocole de la communication téléphonique (…). Le ton et la cordialité d’une secrétaire ou d’une téléphoniste ont une influence évidente sur le contact téléphonique initial (Gras, Joerges, Scardigli, 1992 :261-262).’

Pour en revenir aux scripts des interactions de travail, le tableau suivant permet de souligner la variation la plus importante entre les deux types d’interactions, variation se situant au niveau de la clôture de l’interaction. La séquence de clôture est en effet bien plus brève dans les interactions entre employés, et se limite souvent à un simple échange de salutations, les remerciements n’étant pas systématiques. Ceci est principalement dû au fait que les interactions entre employés sont des interactions symétriques, les deux participants sont dans un cadre de travail, chacun a des tâches bien définies, le but de l’appel est strictement professionnel. Dans le cadre des appels internes, si l’appel est motivé par une requête, le ménagement des faces lié à la formulation de la requête se fait, non par le biais de formulation indirecte de la requête, mais par le biais de la reconnaissance (signe que les locuteurs se connaissent bien), par les termes d’adresse plus familiers, etc. En ce qui concerne la requête, nous verrons plus précisément dans la partie 4 de quel type elles peuvent être dans les interactions professionnelles. Auparavant, nous ferons la description et l’analyse des différents rôles de la secrétaire au sein de son entreprise, des relations qu’elle peut entretenir avec son entourage, et nous aborderons la question du gender dans les interactions professionnelles, compte tenu du fait que les interactions de ce type sont souvent mixtes, et peuvent apporter quelques éléments de réponse concernant les différences de comportements langagiers entre les hommes et les femmes au travail.

Figure 15 : Tableau récapitulatif des scripts des interactions verbales téléphoniques au travail.
  Script des interactions entre Client et Secrétaire
(Appels Externes)
Script des interactions entre Secrétaire et Employé (Appels Internes)

Séquence d’ouverture
S ─ Présentation – Salutation
(C ─ Identification
S ─ Réponse (accusé de réception) )
C ─ Présentation - Salutation
( + Salutations complémentaires)
E ─ Ouverture du canal par appelé
S ─ Présentation
E ─ Ratification de l’identité
S ─ Reconnaissance de l’interlocuteur + Présentation
E ─ Ratification (+ Salutation)
S ─ Salutation + reconnaissance de l’autre
E ─ Présentation
S ─ Ratification (+ salutation)
S ─ Question-de-salutation
E ─ Réponse
Corps de l’interaction C ─ Formulation de la requête
S ─ Réalisation de la requête
S ─ Formulation de la requête
E ─ Réalisation de la requête

Séquence de clôture
C ─ Accord du client
S ─ Récapitulation accord
C ─ Remerciement
S ─ Renvoi du remerciement (ou minimisation)
S ─ Récapitulation par S
C ─ Accord C + Remerciement
C ─ Remerciement
S ─ Renvoi du remerciement (ou minimisation)
C/ S ─ Salutations finales
S ─ (Remerciement +) Salutation de clôture
E ─ Salutation

Pour conclure, nous pouvons souligner à nouveau le fait que dans les interactions entre des locuteurs se connaissant plus ou moins bien, les séquences de clôture sont bien plus courtes que celles se déroulant entre locuteurs ne se connaissant pas. Cette séquence se limite en effet à des salutations et éventuellement des remerciements lorsque les locuteurs se connaissent plutôt bien, ceci venant confirmer ce qu’avait observé Wolfson (1988). Elle avait en effet remarqué, comme le rapporte Holmes (1995 : 13) que

Speech behaviour tends to be most frequent and most elaborated between those who are acquaintances and casual friends, rather than between intimates or strangers.’

Elle schématise l’utilisation de la politesse linguistique selon le degré de connaissance des interactants de la façon suivante :

Mais venons-en aux relations tissées au sein de l’entreprise entre les différents interactants, aux rôles affichés par la secrétaire dans l’entreprise, et à la question du genre dans les interactions de travail.

Notes
103.

Cette question a donné naissance à un poster, que j’ai présenté lors d’un colloque Euresco (2000).