2.Les identités personnelle et sociale

Deux identités sont en interaction étroite : l’identité pour soi (ce que l’on pense de soi, l’appréciation personnelle) et l’identité pour autrui (la comparaison sociale). Nous voyons bien ici que la notion d’identité appartient à deux champs théoriques proches, la sociologie et la psychologie, la psychologie sociale ne constituant alors pas un sous-produit de celles-ci mais un champ scientifique à part entière. D’un point de vue psychologique, l’identité se définit comme un fait de conscience, un fait individuel, et d’un point de vue sociologique, l’identité se définit dans l’interaction (l’individu dans son rapport à l’autre). Ces deux identités sont aussi nommées « identité personnelle » et « identité sociale ».

L’identité personnelle correspond à la conscience de soi, à la façon dont le sujet se perçoit lui-même, l’identité intime. L’identité personnelle correspond à l’individu avec ses marques distinctives telles que le nom, elle est constituée d’attributs qui permettent de définir ce que le sujet a d’unique en tant qu’être humain. C’est l’ensemble organisé des sentiments, des représentations, des expériences qui se rapportent à soi. L’identité personnelle est en interaction avec l’identité sociale, sur laquelle nous nous attarderons plus longuement.

L’identité sociale n’est donc pas séparée de l’identité personnelle. L’identité de l’individu se définit en effet par les relations entretenues entre la définition extérieure de soi (le social) et la perspective intérieure (le personnel). L’identité sociale d’un individu est constituée de ‘«’ ‘ l’ensemble des caractéristiques pertinentes définissant un sujet et permettant de l’identifier de ’ ‘"’ ‘l’extérieur’ ‘"’ ‘ ’ ‘»’ (Camilleri et al., 1990 : 173). C’est l’appartenance de l’individu à des catégories telles que le sexe, l’âge, à des groupes socioculturels (profession, ethnie), à l’assomption de statuts sociaux (familles, institutions), etc. Ces attributs sont les statuts que l’individu partage avec d’autres membres d’un groupe social. Ainsi, contrairement à l’identité personnelle, qui relève de l’intime, l’identité sociale renvoie au paraître de l’individu (l’apparence, les comportements corporels 109 , les comportements langagiers, notamment dans l’interaction). C’est

‘ce qui est présenté lors de la présentation de soi en mettant en avant l’appartenance à des catégories sociales (catégories socioprofessionnelles, ethniques, statut de minorité) et en développant un système de conduite lié au statut (Goffman, 1963 : 78). ’

L’individu sait qu’il va être jugé par autrui, par le biais de cette «façade », de l’aspect extérieur. L’identité n’existe que dans un rapport d’un sujet à un autre et vis à vis d’un objet (réel ou imaginaire, physique ou social). Nous reprendrons, pour finir, la définition de l’identité proposée par Codol et Tap 110  :

‘L’identité est un système structuré, différencié, à la fois ancré dans une temporalité passée (les racines, la permanence), dans une coordination des conduites actuelles et dans une perspective légitimée (projets, idéaux, valeurs et styles). Elle coordonne des identités multiples associées à la personne (identité corporelle, identité caractérielle, spécificités personnelles…) ou au groupe (rôles, statuts…) (in Lipiansky, 1992 : 45).’

Nous verrons dans la suite de ce travail, qu’il n’est pas aisé de distinguer les comportements discursifs qui appartiennent de façon propre au locuteur, ce qui tient de son identité personnelle, des comportements discursifs découlant de la situation d’interaction, ce qui tiendrait donc plutôt de l’identité sociale. Ainsi, certains comportements langagiers de la secrétaire trouveront leur justification dans le caractère propre de celle-ci, son éducation, son expérience personnelle (ce qui ne nous intéressera pas ici), alors que d’autres pourront être décrits grâce à l’analyse des interactions auxquelles elle participe. C’est donc grâce à la description et la comparaison d’un grand nombre d’interactions se déroulant entre des locuteurs dans différentes situations que nous pouvons relever les phénomènes qui seront pertinents pour une analayse linguistique des interactions de travail.

Nous en venons alors à l’approche interactionniste de cette notion d’identité.

Notes
109.

Voir les études de kinésique et proxémique, notamment celles de E. Hall, La dimension cachée, 1978, Paris : Seuil.

110.

Revue internationale de psychologie sociale, 1989, n°2.