4.2.Le rôle

Les notions de statut et de rôle sont liées, compte tenu du fait qu’à chaque statut, correspondent des rôles, que c’est le statut de chaque individu, c’est-à-dire sa position au sein d’un groupe, qui détermine un ensemble de conduites conformes à son statut. A l’origine, ce mot est lié au monde du théâtre : des acteurs jouent des rôles face à un public, ils donnent une représentation. L’analogie avec la vie quotidienne peut alors être faite. En effet, tout comme l’acteur de théâtre, l’acteur social, s’il dispose d’une certaine liberté, ne peut s’écarter véritablement de son rôle (de ce qu’il doit dire et faire). Pour reprendre la définition de Goffman, le rôle est un ‘«’ ‘ modèle d’action préétabli que l’on développe durant une représentation et que l’on peut présenter ou utiliser en d’autres occasions ’ ‘»’ (1973 : 23). D’une part, le rôle, comme « modèle d’action », fournit à l’acteur social des conduites, des pratiques et manières qui lui permettent de se situer, d’entrer en interaction avec autrui. D’autre part, le rôle permet à chacun d’avoir des attentes envers autrui, concernant des attitudes et des actions. Ainsi, les rôles, s’ils sont respectés, entraînent « une certaine harmonie et une cohésion sociale » (Baugnet, 1998 : 49).

Les interactions de nos corpus sont des interactions complémentaires, c’est-à-dire que chaque participant intègre un rôle spécialisé au cours de l’interaction. Les rôles ne peuvent être tenus par une même personne, étant donné que ‘«’ ‘ ce sont les statuts opposés (et complémentaires) de possesseur/ non-possesseur qui fondent les rôles de vendeur/ client ’ ‘»’ (Hmed, 2003 : 40). Ils se définissent de la façon suivante :

‘Les rôles sont pour leur part des ensembles de contraintes et d’obligations, d’autorisations et de prohibitions qui sont appris par l’acteur, et qui paraissent engendrer ce qu’il doit dire et faire dans telles ou telles circonstances. Les prescriptions des rôles présentent toujours une indétermination qui assure à l’acteur une marge de manœuvre, lui permet de montrer des stratégies et de risquer des tactiques, qui le laisse improviser certains scénarios en situation, et qui lui ménage un écart réflexif par rapport à ses manifestations intra-mondaines. (…)Ils s’organisent en jeux de rôles (role-sets) et en jeux de statuts (status-sets), toujours articulés dans des contextes d’interactions typiques, et s’accompagnent d’attentes (expectations) typiques de rôles et de statuts, partagées et sanctionnées par les interactants (Cefaï, 1998 : 233).’

La multitude de rôles impliqués dans une interaction laisse envisager la possibilité de conflits entre les rôles : conflits, chez une même personne, entre les différents rôles qu’elle remplit (conflits « intrapsychiques »), mais aussi conflits avec les rôles d’une autre personne (conflits interpersonnels). Dans le premier cas, l’individu doit remplir plusieurs rôles, qui ne sont pas forcément compatibles entre eux, voire totalement incompatibles, ce qui le place évidemment dans une situation difficile à gérer (nous en parlerons dans la partie suivante à propos des secrétaires d’entreprise).

Dans le deuxième cas, les conflits interpersonnels peuvent être dus aux évolutions de la société qui rendent les rôles potentiellement instables, et qui rendent incompatibles des rôles traditionnels et des rôles nouveaux. Il sera donc intéressant d’observer la prise de rôles (selon leur statut) des locuteurs participant aux interactions de nos corpus, étant donné que les rôles ne sont pas stables : ils peuvent s’étendre ou rétrécir, selon la situation d’interaction, et les interactants.

‘Dans l’entreprise, les cadres, les ouvriers, possèdent des statuts particuliers, mais les rôles qu’ils accomplissent dépendent dans une plus large mesure de leurs initiatives personnelles (Chappuis et Thomas, 1995 : 34).’

C’est ce que nous allons voir précisément dans la prochaine partie, puisque la liberté accordée notamment aux secrétaires varie d’une entreprise à l’autre, leurs rôles sont donc plus ou moins limités. S’ils le sont trop, les initiatives personnelles sont quasi inexistantes, mais s’ils ne le sont pas assez, cette (trop) grande liberté peut devenir rapidement ingérable pour le supérieur.