1.2.La secrétaire : de la formation à l’interaction

Comme nous l’avons dit précédemment, la secrétaire porte la responsabilité de représenter l’entreprise, puisqu’elle est souvent le premier contact qu’a l’appelant avec elle. Et c’est ce premier contact, en général téléphonique, qui va permettre au client de construire l’image qu’il se fait de l’organisation. Certains éléments vont orienter plus que d’autres cette image :

La gestion du temps est une dimension du travail lourde à gérer, et primordiale pour l’entreprise, vis à vis du client. La notion de temps dans l’entreprise est probablement différente d’une entreprise à l’autre 122 , et d’un client à l’autre. Cela peut influer sur le cours des interactions, notamment celles concernant des délais de livraison, de commande, etc. Un délai peut sembler court pour la secrétaire, et long pour le client. Nous trouvons ainsi souvent ces problèmes autour du temps, dans les entreprises du bâtiment, entre le client qui se plaint d’un délai et la secrétaire qui est complètement débordée de travail (nous pensons au corpus artisans 123 ).

‘Dans l’entreprise, le chronomètre a été, et reste encore, la principale mesure du travail. Les délais, les cadences, les horaires, les jours ouvrés et les jours chômés, les temps d’activité et de retraite : autant de notions qui font se correspondre la question du temps et l’univers du travail (Cardia-Vonèche, Bastard et Gonik, 1999 : 38).’

La secrétaire apprend-elle à gérer les éléments cités plus haut, est-elle formée à l’accueil téléphonique ?

Nous avons pu constater que toutes les entreprises ne donnent pas la même importance à ce point. L’image véhiculée par l’appelé(e) est donc étudiée à travers une comparaison de plusieurs entreprises. Certaines entreprises, comme les entreprises familiales 124 , ne se font pas une priorité de former leur secrétaire à l’accueil téléphonique. Ces entreprises, qui sont dans nos corpus des entreprises d’artisans, existent depuis plusieurs décennies, et font confiance aux membres de leur famille qui les entourent. Elles donnent aussi peut-être moins d’importance à l’image qu’elles véhiculent, du fait de leur pérennité : elles n’ont pas besoin de se soucier de leur image pour rassurer ou fidéliser le client. Au contraire, dans d’autres types de sociétés, où d’autres types de services sont rendus (cabinet d’assurances par exemple), l’image véhiculée par le biais de la secrétaire est essentielle, et nous voyons ainsi se développer des formations internes à l’accueil téléphonique. Dans ces guides de formation, nous retrouvons des marques de politesse linguistique adaptées à la situation de communication particulière à chaque entreprise. L’accent est mis sur la spécificité de la majorité des interactions clients – secrétaires, c’est-à-dire leur caractère purement auditif. Des conseils sont donnés :

Par exemple, l’intensité de la voix apportera des informations sur l’aisance du locuteur, sur ce qui se passe aux alentours. « La voix renseigne également sur la tonicité ambiante : elle traduit un comportement gestuel : on entend, par exemple au bout du fil, la décontraction (…). Elle témoigne de l’humeur » (« Techniques de communication professionnelle orale »). Odin définit ces informations comme des « connotations énonciatives » : ce sont

‘les connotations qui nous renseignent sur l’émetteur, sur le récepteur, et sur le contenu du message. Ainsi, telle structure intonative, nous fait-elle comprendre que celui qui parle est du Midi ou bien du Nord (…), qu’il s’adresse à un supérieur ou à un inférieur (…) (Odin, 1990 : 122).’

Il est ainsi conseillé de sourire au téléphone. Nous allons voir qu’effectivement, la voix de la secrétaire peut venir perturber le client, modifier son comportement, donc modifier le cours de l’interaction. Dans nos corpus, nous avons notamment observé des différences dans l’accueil téléphonique entre les différentes entreprises.

Chez l’entreprise Fournisseurs (exemples 1) et les Assureurs (exemples 2), la secrétaire donne une impression d’écoute (elle ne semble pas faire autre chose en même temps, point essentiel dans de nombreux manuels 126 ), elle parle clairement, le ton est plutôt gai (du moins, il n’est pas morose, ce qui freinerait la communication). Nous retrouverons des formules du type « C’est à quel sujet », « Qui dois-je annoncer ».

Exemples 1 (Fournisseurs) :

Interaction 5 1L T. Lyon bonjour ↑

2C oui ↑ bonjour j’pourrais avoir monsieur M. s’il vous plaît ↑

3L oui c’est de la part ↑

4C monsieur X.

5L oui quittez pas

Interaction 7 1L T. Lyon bonjour

2C allô bonjour est-ce que j’pourrais avoir monsieur K.

3L monsieur K. sera là . en début d’après-midi

(…)

5L à 13h30 je peux lui laisser un message

Exemples 2 (Assureurs)

Interaction 5 1S cabinet B.-T. bonjour

2C oui bonjour madame ce s’rait pour un renseignement s’il vous plaît

(…)

7S vous avez déjà des contrats-garanties chez nous madame

8C non [c’est à titre: d’information [oui

9S [non du tout [oui oui d’un renseignement vous d’mandez un renseignement j’vous demande de patienter un p’tit instant j’vais vous passer la personne qui va s’occuper de vous: faire une tarification ne quittez pas

Chez les Transporteurs (exemples 1) et les Artisans (exemple 2), l’une parle vite, n’articule pas, émet de nombreux soupirs, des plaisanteries, l’autre ne salue pas (ne présente pas la société), d’où une impression de dérangement ressenti par l’appelant (il émettra donc plus d’excuses). La secrétaire a tendance à utiliser des formules plus directes, du type « C’est pour quoi ».

Exemple 1 (Transporteurs, 98)

Interaction 4 6C je peux avoir l’affrètement ↑

7S oui c’est pour quoi ↑

Interaction 29 2C oui bonjour c’est Sandrine j’peux avoir m’sieur B.

3S ou:ais quittez pas

Exemple 2 (Artisans, 99)

Interaction 2 1S allô

2C oui ↑ bonjour [madame

3S [bonjour madame

4C madame F. du groupe C. je souhaite parler à la direction s’il vous plaît ↑

5S elle vient juste de partir

6C ah bon bah tant pis

7S voi[là

8C [je pourrais p’t-être la: joindre éventuellement cette après-midi ou pas

9S peut-être en début d’après-midi pa’ce qu’après il est pas mal chargé hein=

Nous remarquons que, dans cet extrait, la secrétaire ne tente pas de savoir le but de l’appel de son interlocutrice, et elle ne propose ni de prendre un message, ni de rappeler à un autre moment, ce qui fait pourtant partie de ses fonctions.

Dans le Corpus Assureurs, nous avons pu noter de nombreuses fois que la secrétaire enregistrée a souvent tendance à s’auto-corriger, reformuler ses propres interventions (se reprendre pour mieux formuler ses énoncés). Nous pouvons donner un exemple d’auto-correction évidente, avec un extrait de l’interaction 19, dans lequel la secrétaire s’auto-corrige explicitement :

17S ah oui d’accord c’est pas les ass- ce n’sont pas les assurances personnelles

Nous décrirons ce phénomène dans la partie suivante portant notamment sur les identités sexuelles, plus précisément sur les différences de comportements langagiers entre hommes et femmes, dont l’auto-reformulation fait partie. Mais venons-en d’abord aux différents rôles tenus par la secrétaire dans la petite et moyenne entreprise.

Notes
122.

On entend souvent les employés se plaindre de « manque de temps ».

123.

Les petites entreprises dans lesquelles un(e) même employé(e) aura différentes fonctions à gérer.

124.

Corpus Artisans et Transporteurs.

125.

« La préoccupation de communiquer une information exhaustive à son interlocuteur impose la contrainte de la reformulation », Manuel de formation (voir Annexe 3).

126.

« Eviter quand on décroche le téléphone qu’il y ait un bruit de fond désagréable », ce qui laisserait penser que la secrétaire fait plusieurs choses en même temps, qu’elle n’écoute que « d’une oreille »…