Chapitre 8 : Les identités sexuelles : les différences entre les « genres »

Même si ‘«’ ‘ l’identité sexuelle est continuellement présente pendant les rencontres humaines ’ ‘»’ (Quéré, 2000 : 12), cette question des genres ne nous a interpellée que tardivement. Pourtant, nos corpus se prêtent à une analyse de ce « genre ». En effet, si, sur le terrain, nous retrouvons beaucoup d’hommes, dans les bureaux au contraire, le milieu est plus féminin. Cette situation donne ainsi des relations, des interactions mixtes. Les contacts entre les deux milieux sont la plupart du temps des contacts téléphoniques (et non en face à face). Il est rare en effet que les professionnels du bâtiment entrent en contact avec les secrétaires dans les bureaux, réunions ou repas d’affaires, dans lesquels les femmes sont très rarement conviées 130 .

Comme nous l’avons dit précédemment, la secrétaire est dans la majorité des cas une femme 131 . Dans nos corpus, en ce qui concerne les relations internes, toutes les secrétaires sont des femmes, et les patrons/ gérants/ directeurs d’agence sont des hommes. Les relations externes (secrétaire - client) sont, elles aussi, majoritairement mixtes. Dans le corpus Transporteurs, tout comme dans le corpus Fournisseurs, les deux tiers des appelants sont en effet des hommes (clients et autres employés confondus). La diversité de nos interactions nous permet la comparaison de différents types d’interactions (femme - femme, homme - femme). Le point de départ de notre travail sera l’observation dans nos corpus des ‘«’ ‘ effects of speaker’s sex on quality and quantity of linguistic production, on content memory and personal interaction quality ’ ‘»’ (Baroni et Nicolini, 1995 : 407). L’hypothèse générale est donc la suivante : le sexe du locuteur a des effets sur la qualité et la quantité des productions linguistiques, sur la qualité de l’interaction. La question du genre sexuel peut être étudiée, en sciences du langage, selon deux perspectives différentes, la langue et le discours. Nous ne nous intéresserons donc pas à la question du « genre sexuel » dans la perspective de la « langue » mais bien dans celle du « discours » puisque notre recherche porte sur l’analyse des interactions. Certains chercheurs se sont intéressés plus particulièrement à la langue, et se sont posés différents types de questions auxquelles ils ont apporté un certain nombre de réponses : dans quelle mesure les hommes et les femmes parlent la même langue, c’est-à-dire s’ils disposent des mêmes ressources (phonologiques, morpho-syntaxiques, lexicales) pour s’exprimer ? La réponse est oui, les hommes et les femmes parlent la même langue, mais ils n’ont pas les mêmes préférences quant à leur façon d’utiliser le système linguistique. La langue est-elle sexiste ? Effectivement, une certaine « domination » masculine a été révélée, notamment par le simple fait que « le masculin l’emporte sur le féminin » (il s’agit des règles d’accord), et que le genre masculin fonctionne comme la catégorie générique. Mais revenons-en à nos corpus.

Cette hypothèse va nous permettre de formuler quelques questions spécifiques à ce travail : L’identité sexuelle influe-t-elle le cours de l’interaction ? 132 Peut-on établir des hypothèses plus générales quant au comportement des femmes et des hommes au téléphone, à partir de nos corpus ? Pour répondre à ces questions, nous allons nous référer à différents auteurs qui ont étudié la question des genres. Deux types d’analyses peuvent être faits sur le discours des femmes : d’une part, on peut faire une analyse de la façon dont on parle des femmes 133 , c’est-à-dire que dans le cadre de cette approche, les femmes sont des objets de discours et l’analyse portera alors sur les représentations des femmes proposées dans le discours, qu’il soit ordinaire ou médiatique, dans la publicité 134 , dans les manuels scolaires, les catalogues de jouets, etc. D’autre part, on peut faire une analyse du parler des femmes. Elles ne sont plus alors des objets de discours mais elles sont productrices de discours. Nous adopterons pour l’analyse de nos corpus cette perspective, sachant que le parler des femmes est sujet à de nombreux travaux, dont Language and Woman’s place de Robin Lakoff, publié en 1975 et qui est suivi par d’abondantes études et publications dès la fin des années 70 dans les pays anglo-saxons.

Nous allons voir, dans nos corpus, comment parlent les femmes, comment les hommes parlent aux femmes, et plus particulièrement, quels sont les points qui permettent de distinguer les hommes et les femmes concernant leurs comportements langagiers dans l’interaction. Pour ce faire, nous allons suivre le script de l’interaction : l’ouverture, le corps et la clôture de l’interaction. Nous nous intéresserons donc aux aspects précis que sont les aspects conversationnels (tours de parole, interruptions, etc.), mais nous allons commencer avant toute chose par un état des lieux des autres aspects du parler féminin afin de voir où en sont les différentes études.

Notes
130.

Il semblerait que ces pratiques commencent à changer.

131.

Elles ont depuis une dizaine d’années leur propre fête : la « fête des secrétaires ».

132.

Pour les ethnométhodologues, c’est uniquement par l’observation des situations, que nous pourrons voir si l’identité sexuelle est effectivement dotée de pertinence pour les agents.

133.

Voir pour le discours sur les femmes dans les médias, Tuchman & al. Eds, Hearth and home : Images of women in the mass media, 1978, New York : Oxford University Press, dans la publicité, Goffman, « La ritualisation de la féminité », in Winkin (éd.), 1988, Paris : Seuil/ Minuit (p. 150-185).

134.

Plusieurs associations ou « groupes militants » comme les « chiennes de garde » se sont créés dans le but de faire modifier le discours tenu par les publicitaires sur les femmes, ainsi que l’image d’elles qu’ils véhiculent.