2.Le parler féminin

Robin Lakoff a dégagé, lors de son analyse du woman’s language (analyse qui n’est d’ailleurs pas fondée sur des données empiriques mais sur l’observation de son propre discours et de celui de son entourage) dix « façons de parler » qui seraient spécifiques aux femmes, ces « façons de parler » constituant une sorte de portrait de locutrices, du moins de locutrices prototypiques (les femmes réelles ne se conforment pas à tous les traits décrits par Lakoff) :

De nombreuses études ont repris ensuite les résultats obtenus par Lakoff et sont venues contredire ces résultats, mais nous en parlerons au long de ce chapitre.

Revenons aux particularités de ce « parler féminin » mais en les abordant selon leur nature (non verbale, paraverbale, verbale). Les particularités du comportement féminin non verbal ne sont pas vraiment pertinentes pour l’analyse de nos interactions mais, malgré tout, nous les reprendrons rapidement afin d’avoir une idée générale du comportement féminin dans l’interaction.

Parmi les particularités concernant le comportement non verbal des femmes, il a été remarqué par les spécialistes de kinésique et de proxémique 138 que les femmes donnaient plus d’importance que les hommes aux canaux visuel et tactile. Concernant la proxémique, les femmes ont entre elles un comportement plus « proche » que les hommes entre eux, elles produisent plus de gestes de contacts, échangent aussi plus de regards : d’une part, les contacts oculaires entre elles sont encore plus nombreux en situation amicale, d’autre part, elles regardent plus que les hommes quand elles sont en situation d’écoute (plus que quand elles sont locutrices). Concernant la mimo-gestualité, certains comportements, que ce soient des gestes, des mimiques ou des postures, sont typiquement féminins (alors que d’autres sont typiquement masculins), c’est-à-dire qu’ils sont plus fréquemment produits chez les femmes, tels que le sourire, ou encore la flexion latérale de la tête 139 .

En ce qui concerne les particularités féminines du matériel paraverbal (vocalité et prosodie), nous pouvons d’abord souligner le fait que la voix féminine est « haut perchée », la hauteur étant une donnée « naturelle », liée à des facteurs anatomiques et physiologiques. Cette hauteur de voix porte de nombreuses connotations, comme celle enfantine ou affective. De plus, les femmes ont moins de puissance vocale que les hommes, ce qui peut les handicaper dans les situations de parole publique, puisque ce manque de puissance les oblige à forcer leur voix, et à la faire monter dans les aigus. Enfin, les femmes ont un débit de parole plus rapide que les hommes 140 , ce qui peut d’ailleurs être interprété de diverses façons : facilité de parole, précipitation due à la peur de se faire prendre la parole, etc.

Nous en venons maintenant aux caractéristiques verbales du style féminin qui peuvent affecter les niveaux sémantiques, rhétoriques et pragmatiques.

Notes
138.

Voir les travaux de Vrugt et Kerkestra, 1984.

139.

Voir les travaux menés par Frey et ses collaborateurs en 1984 : A partir de peintures, de photographies et d’interactions filmées, ils ont pu remarquer que chez les femmes, les inclinaisons latérales de la tête étaient deux fois plus nombreuses que chez les hommes, sauf semble-t-il dans les situations où le personnage féminin évoque le pouvoir. Ceci rejoint alors les résultats d’autres chercheurs pour lesquels « le parler féminin est d’abord et avant tout un parler "powerless" » (Kerbrat-Orecchioni, à paraître : 6).

140.

Voir l’étude de Maury-Rouan, 1995.