4.Au cours de l’interaction

4.1.Dangers de l’analyse

L’analyse des différences de styles conversationnels dues aux genres est des plus délicates. Beaucoup de choses ont été écrites et ont ensuite été sujets à controverses. Il nous a donc été parfois difficile de distinguer les travaux fondés sur des observations « sauvages », ou bien à tendance sexiste, ou même, selon Aebischer, raciste 153 , qui reprennent des conclusions antérieures en les généralisant à toutes les femmes, ou encore les travaux analysant le parler féminin en le comparant systématiquement au parler masculin 154 , de ceux fondés sur des enregistrements en quantité suffisante, travaux plus récents qui tentent de trouver une explication « neutre » à ces différences de comportements langagiers 155 . En effet, il peut être tentant de décrire précisément ce que serait le style particulier féminin, comme a pu le faire Robin Lakoff (1975). Ainsi, comme l’explique Aebischer,

‘Il est sans doute fort pratique d’imputer toute différence – réelle ou imaginaire – à une quelconque appartenance sexuelle : ce sont des catégories exhaustives, car du fait de son anatomie, pratiquement tout individu dans notre société peut être inséré dans l’une ou dans l’autre (1985 : 53).’

Certaines approches n’ont notamment fait que reproduire des stéréotypes, ancrés dans le sens commun, et la majorité des écrits sur la langue et le sexe, écrits issus de ces approches, sont liés aux stéréotypes portant sur la « nature » féminine et masculine, c’est-à-dire des stéréotypes montrant l’homme comme étant objectif mais bruyant, et la femme comme émotionnelle et volubile.

En identifiant les traits pertinents visant à caractériser le style féminin, et ce dans une démarche comparative, on se risque à ‘«’ ‘ traiter les spécificités attribuées aux femmes comme un écart de la norme, représentée par le parler masculin, qui reste ainsi le point de référence valorisé ’ ‘»’ (Mondada, 1998 : 258), et donc à les interpréter négativement. La prise en charge du contexte est donc primordiale dans l’analyse (les formes linguistiques acquièrent leur fonctionnalité en contexte). Ainsi, pour répondre à des questions du type « Qui interrompt qui ? », il ne suffit pas de s’intéresser au sexe des locuteurs, mais aussi à leur âge, leur origine ethnique, leur localisation géographique, etc. Haas (1978) a observé le parler féminin et masculin chez des enfants, et a remarqué que le langage change selon que les enfants sont en interaction avec des enfants du même sexe ou de sexe opposé. Le choix des sujets de conversation et la façon de s’y référer sont liés au sexe des locuteurs (sport pour les garçons, école pour les filles), par contre l’utilisation du langage par les filles et les garçons dépendrait de la situation d’énonciation : des variations ont été relevées, selon qu’il s’agit d’interactions mixtes (garçon – fille et l’inverse) ou d’interactions non mixtes. Nous pouvons citer un autre exemple montrant l’importance de la prise en compte du contexte dans l’étude du parler féminin et masculin. D’après l’étude de Zimmerman et West (1975), les hommes, quand ils conversent avec les femmes, exercent un certain pouvoir et une forme de domination, qui prennent la forme d’interruptions et de silences. Dans les interactions mixtes Homme – Femme, la majorité des interruptions sont à l’initiative des hommes, alors que les femmes ne protestent pas. Nous en reparlerons de façon plus détaillée dans notre chapitre consacré aux interruptions et aux chevauchements, mais nous pouvons déjà souligner que le postulat de base de Zimmerman et West, pour qui toute interruption est une marque de domination de la part du locuteur, a été contesté par Aleguire (1978). Pour Aleguire, les conditions d’énonciation modifient complètement l’interprétation des interruptions, ne les caractérisant plus comme des intrusions mais comme des manifestations d’intérêt.

Pour en revenir à nos corpus, chaque entreprise, avec ses employés et ses clients, a ses spécificités. Chaque entreprise a son identité propre, son style conversationnel partagé par les salariés, et ceci rendra certaines de nos remarques difficilement généralisables à toutes les entreprises.

Notes
153.

Voir Aebischer, 1992 : 193-208. A propos du bavardage,

‘Le bavardage est localisé en la femme. Et en reconnaissant la femme à son bavardage, l’observateur cherche à lui conférer une réalité biologique, physique, sentimentale ou psychologique. Cette attitude qui consiste à tenir des caractéristiques d’un groupe humain donné (…) pour des conséquences de ses caractéristiques physiques ou biologiques est raciste. (…) Elle puise dans un flot de préjugés qui déprécient la femme ou, au contraire, la mettent sur un piédestal tout aussi emprisonnant, bien au-delà de son parler (199-200).’
154.

Et ils sont nombreux : les nombreuses études sur le parler féminin et les rares études sur le parler masculin nous montrent que le parler féminin est marqué, par rapport à celui masculin, qui « irait de soi » : « Il est intéressant de constater que, quelles que soient les méthodes employées, simple observation (…), c’est le langage des hommes qui a été pris pour norme, celui des femmes figurant du même coup comme déviance ou comme défaut », Aebischer et Forel, 1992 : 12.

155.

Voir entre autre l’article de L. Mondada, 1998.