4.3.2.Réactions à l’interruption

Concernant la réaction des secrétaires aux interruptions verbales, chacune d’elles réagit différemment selon l’importance qu’elle donne à cette intrusion, selon le type d’intrusion, et selon la personne qui en est l’auteur évidemment.

1- L’une des réactions possibles à l’intrusion de l’interlocuteur sur son tour de parole est la résolution de ce chevauchement, de cette simultanéité des deux voix, par deux moyens opposés. Les chevauchements entravant l’audition, la compréhension mutuelle, il peut être difficile de savoir, pour les participants, sur quel énoncé enchaîner le tour suivant.

La femme peut alors choisir, après que l’homme l’a interrompue, de s’arrêter de parler. Se retirer de la conversation fait partie de l’ensemble des méthodes pour ramener le discours au schéma préférentiel d’une « personne à la fois » 168 . La secrétaire de l’entreprise Transporteurs adopte cette réaction assez souvent, principalement quand c’est son patron qui l’interrompt (ils sont pourtant assez « décontractés » l’un envers l’autre).

Interaction 1 (98) Interaction 5 (98)

16S alors j’lui dis quoi  11S oui j’ai madame O (…) j’sais [pas quoi

17M euh: [bah 12M [oui bah

18S [vous av- vous lui dites (…)

19M -les deux colis sont là

La secrétaire peut aussi préférer terminer son discours, en même temps que son interlocuteur masculin parle. Elle va

‘persévérer dans sa volonté de s’exprimer, éventuellement jusqu’à ce que son ou ses interlocuteurs se retirent. Ou bien, l’interrompant ou l’interrompu peut défendre son terrain, en parlant de plus en plus fort, jusqu’à couvrir le discours de l’interlocuteur (West, 1992 : 180). ’

C’est le cas par exemple dans les interactions quelque peu conflictuelles, où il y a désaccord entre les locuteurs.

Interaction 16 (Transporteurs, 98))

41C bon attendez j’vais quand [même regar-

42S [qui a signé hein

(…)

53C (…) c’est le destinataire qui l’a marqué (…) sur le talon des

[ (inaudible)

54S [euh c’est absolument pas l’destinataire

Dans nos différents corpus, nous retrouvons de nombreuses interactions non mixtes femme – femme, dans lesquelles les paroles se chevauchent et chacune d’elle continue à parler. Il semblerait donc qu’il y ait, dans ce type d’interactions aussi, des « luttes pour le statut », du même type que celles qui ont été décrites par Murard, mais entre hommes 169 .

Interaction 1 (Assureurs ; Les clientes sont des femmes)

17S alors euh: . oui [c’est ça

18C [oui c’est ça donc euh [il a refusé de régler cette échéance

19S [(inaudible)

Interaction 10

12C y a pas de nom dessus hein [c’est la facture de madame Z.

13S [y a pas y a pas d’initiales y a pas d’initiales

Nous observons d’ailleurs ici que, pendant la parole simultanée, il arrive souvent que le locuteur modifie son énoncé (il bégaie, répète le même syntagme), probablement pour être sûr d’être entendu et compris. Il revient à une prononciation normale une fois le chevauchement passé.

2- La deuxième réaction possible du locuteur face à une intrusion de la part de l’interlocuteur est la récupération, par le locuteur, des énoncés simultanés (le sien ou celui de l’autre). La femme peut en effet choisir, lorsqu’elle reprend la parole, de récupérer son propre énoncé (reprendre ce qu’elle avait commencé à dire) ou l’énoncé de son interlocuteur (ce qui montre qu’elle a tenu compte du contenu de l’intrusion).

Interaction 1 (Fournisseurs)

27L donc vous m’dites si: [si faut débloquer ou pas

28C [oh bah oui oui faut envoyer l’reste oui

29S j’débloque [d’accord

Interaction 6 3L oui vous êtes [quelle société

4C [la société X à St Genis laval

5L X (8’) passée hier vous m’dites

Interaction 13 36C du laqué [blanc T.

37L [ah ben ah blanc T. 

Dans ces exemples, nous pouvons remarquer que la secrétaire prend en compte quasi systématiquement ce qu’a dit le client en même temps qu’elle.

Nous avons donc pu observer tout au long de cette partie, que, tout comme les comportements langagiers à l’ouverture de l’interaction, certains autres comportements, comme les interruptions et les chevauchements, seraient, eux aussi, influençables par le genre et le statut des locuteurs. Il nous faut toutefois préciser à nouveau que les remarques concernant les réactions aux interruptions, comme celles concernant les interruptions proprement dites, ne peuvent être généralisées à toutes les interactions mixtes. D’une part, nos corpus ne présentent pas un nombre suffisant d’interactions ayant les mêmes caractéristiques contextuelles qui permettrait de procéder à des généralisations. Nous avons un certain nombre d’interactions mixtes, mais ces interactions ont lieu soit entre locuteurs se connaissant, ou ne se connaissant pas, soit entre des professionnels (secrétaire et client), ou encore entre un professionnel (secrétaire, patron ou technicien) et un non professionnel (client). Cette diversité dans les statuts des participants brouille les pistes et empêche une généralisation des remarques. D’autre part, le facteur du sexe des participants et celui du statut sont systématiquement présents et simultanément pertinents dans toutes les interactions, il est donc difficile de dissocier le rôle de chacun de ces facteurs dans les interactions secrétaire - client. En effet, dans nos interactions, la secrétaire est toujours une femme et a forcément un statut inférieur à celui du patron, qui est systématiquement un homme. Concernant les contacts téléphoniques avec l’extérieur, la plupart sont avec des hommes, mais ceux-ci peuvent avoir des statuts très divers : salarié de la même entreprise (technicien, chauffeur, ouvrier, etc.), client habitué, nouveau client, représentant, fournisseur, collègue concurrent, etc. L’interprétation de phénomènes tels que les interruptions est donc délicate, l’enjeu étant de taille : «  c’est la question de la "dominance" et du "pouvoir" qui s’y trouve directement engagée » (Kerbrat-Orecchioni, à paraître : 15).

Notes
168.

Voir Jefferson et Schegloff, 1975.

169.

Elle a pu observer qu’il y avait plus d’interruptions entre participants quand l’interaction se passe entre deux hommes, que dans les interactions mixtes.